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Maghreb

Le jour fait l’adieu, Zohra Mrimi (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 03 Mai 2019. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Z4 éditions

Le jour fait l’adieu, mars 2019, 114 pages, 12 € . Ecrivain(s): Zohra Mrimi Edition: Z4 éditions

 

Chez Zohra Mrimi, la solitude se conçoit de façon artistique : « Je blanchis ma solitude comme un tableau de maître » dit-elle. Fondante sur les lèvres, suggérée aux anges, cette solitude parfaitement apprivoisée, évoquée dans des jeux d’ombre en noir et blanc, inversant d’ailleurs les couleurs dans leurs rôles « normaux », se fait davantage sentir « quand un poète s’absente ».

La poète avance avec sa déclaration d’Amour à la boutonnière, multipliant la progression émotive de ce qu’elle dit : « Je t’aime/Je double mes pas/double mes jours ».

Comme dédoublée d’une absence, l’auteur a ce recul nécessaire pour prendre conscience, se servant sans doute d’un paysage familier, que « l’Amour ne passe pas vers telle sécheresse ».

Vulnérable, la protagoniste énoncée à la troisième personne, semble être une projection de celle qui écrit, une sorte de miroir : « Elle est libre/Elle est nue/Elle est invisible aux couteaux qui la tuent/Le rythme de l’agonie est visible ».

1994, Adlène Meddi (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 21 Janvier 2019. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Rivages

1994, septembre 2018, 332 pages, 20 € . Ecrivain(s): Adlène Meddi Edition: Rivages

 

Donner un millésime comme titre à un roman peut être une manière délibérée de rendre hommage à George Orwell et de se ranger sous son patronage ; en particulier quand le titre en question contient certains chiffres talismaniques. Ce fut ainsi le cas pour la dystopie de Boualem Sansal, 2084. Son compatriote Adlène Meddi a choisi, de son côté, une autre date : 1994. Pourtant, le modèle orwellien paraît loin, ne serait-ce que dans la mesure où l’auteur ne scrute pas l’avenir, mais le passé d’un pays – le sien, l’Algérie ; celui d’une génération (qui connut la guerre d’indépendance) et de ses fils. Il en va, semble-t-il, de la violence comme de l’énergie : une fois produite, si elle ne se transforme pas, elle ne disparaît jamais et, quand elle donne l’impression d’avoir disparu, c’est qu’elle est partie au mauvais endroit. On dit que le charnier dans lequel les victimes du massacre d’Oran (5 juillet 1962) furent ensevelies par les bulldozers de l’armée française empuantit la ville pendant des années. De la décennie 1950 à la décennie 1990, une violence déchaînée traversa l’Algérie et, comme elle n’avait plus d’appelés français à décapiter, elle se retourna contre les Algériens eux-mêmes. On a beaucoup écrit sur les méthodes employées par l’armée française pendant les « événements », mais le FLN et les autres mouvements indépendantistes (c’est ici un Algérien qui le rappelle) n’étaient pas composés d’anges et de saints.

Le Livre d’Amray, Yahia Belaskri (par Mona)

Ecrit par Mona , le Lundi, 14 Janvier 2019. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Roman, Zulma

Le Livre d’Amray, mai 2018, 144 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Yahia Belaskri Edition: Zulma

 

Le Livre d’Amray c’est la profession de foi d’un poète « depuis deux mille ans en quête d’amour », blessé par des « voleurs de rêves », qui cherche en vain sa place dans la cité. Yahia Belaskri met en forme « rien d’autre qu’une tragédie sans fin ni mesure ».

L’auteur plante le décor dans une terre des temps immémoriaux qu’il choisit de ne jamais nommer, et la majuscule au mot Livre dans le titre inscrit l’histoire du poète « amoureux du monde et de ses mystères » dans un registre sacré et intemporel qu’il faut garder en mémoire (« rappelez-vous de moi »).

Et pourtant, le drame du poète n’a rien d’abstrait : il subit la terreur dans sa chair et on reconnaît bien l’Algérie dans cette terre mutilée à travers les siècles. Le narrateur, né comme l’auteur avec la guerre d’Algérie (« Je suis né et le monde a basculé dans la terreur ») doit porter en terre le corps de sa femme massacrée par les terroristes islamistes lors de la décennie noire. Ce nœud dramatique bouleverse la structure même du récit et fait éclater le point de vue narratif : l’ami, Ansar, prend alors le relais d’Amray le narrateur.

Celui qui est digne d’être aimé, Abdellah Taïa (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Mercredi, 19 Décembre 2018. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Seuil

Celui qui est digne d’être aimé, 2017, 136 pages, 15 € . Ecrivain(s): Abdellah Taïa Edition: Seuil

 

 

Le roman d’Abdellah Taïa s’appuie sur un dispositif particulièrement soigné, à la fois sur le plan chronologique et narratif, pour dresser le portrait croisé d’Ahmed, homosexuel marocain, et double de l’auteur, à travers quatre lettres qui se répondent entre elles et donnent à voir, soit directement quand il en est lui-même à l’origine, soit indirectement par l’intermédiaire de ceux qui l’ont connu et qui lui écrivent, les évolutions de sa personnalité et son endurcissement progressif. Quatre lettres, de 2015, 2010, 2005 et 1990, selon l’ordre temporel inversé adopté par le livre, écrites donc pour deux d’entre elles (2015 et 2005, peut-être l’année charnière) par Ahmed et les deux autres par Vincent (2010) et Lahbib (1990). De ce point de vue, le texte est une sorte de tour de force, une remémoration chorale à plusieurs entrées, exercice intime à trois voix, sombre et violent, qui n’a rien d’un exercice de style.

Zabor ou Les psaumes, Kamel Daoud (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mardi, 11 Décembre 2018. , dans Maghreb, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Zabor ou Les psaumes, 336 pages, 21 € . Ecrivain(s): Kamel Daoud Edition: Actes Sud

 

 

L’histoire d’une libération par l’écriture.

Un Robinson arabe, orphelin d’une mère répudiée, renié par son père et banni par ses frères, amoureux d’une divorcée privée de corps, vit en paria dans le territoire des femmes avec une tante, vieille fille analphabète, qui éveille ses sens. Frappé par le mauvais œil, entouré de signes et de rites, il doit garder en permanence sept livres collés sur le corps. Il possède le don magique d’écrire, écrire pour « faire reculer la mort », et survit grâce aux livres dans sa tête. Réputé renégat, pas circoncis, il porte un nom d’exilé, Ismaël, et se choisit un nom de poète, David, Daoud en arabe, l’écrivain des Psaumes, « le prophète à qui Dieu donna une voix unique ».