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Les Livres

Sentences, Ménandre (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 31 Janvier 2024. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Les Belles Lettres

Sentences, Ménandre, éditions Les Belles Lettres, 2022, trad. annotée, Janick Auberger, Michel Casewitz, XLIV + 254 pages, 35 € Edition: Les Belles Lettres

 

Ménandre (342/1-292/1 avant Jésus-Christ) fut longtemps un grand écrivain que plus personne ne pouvait lire. Au long d’une trentaine d’années de carrière dramatique, il composa une centaine de pièces de théâtre, suffisamment appréciées du public athénien pour qu’on lui érigeât, seul auteur comique aux côtés des trois grands tragiques, une statue dans le temple de Dionysos. Ménandre n’était cependant plus qu’un nom, puisque le texte de ses pièces avait disparu et n’était plus accessible que grâce à des citations de seconde main ou des adaptations latines. Au début du XXe siècle, la découverte de papyri dans le désert égyptien permit de retrouver plusieurs comédies complètes, ainsi que de larges fragments.

Dans un monde antique où les livres étaient rares et chers (ils le resteront pendant la plus grande partie de l’histoire humaine et même l’invention de l’imprimerie n’entraîna point une baisse rapide des coûts), la mémoire jouait un rôle cardinal, que nous avons du mal à apprécier aujourd’hui, alors que toutes les connaissances du monde sont accessibles instantanément par l’intermédiaire d’un téléphone portable.

Revue Contrelittérature, n°6, année 2023, Anarchie souveraine (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 31 Janvier 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Revues

Revue Contrelittérature, n°6, année 2023, Anarchie souveraine, Contrelittérature éditions, 2023, 197 pages, 15 €

 

L’anarchie, et l’anarchisme, n’ont pas bonne presse aujourd’hui. On pourrait même qualifier la pensée anarchiste de quasi absente dans le paysage idéologique contemporain – dans le paysage visible du moins. Ou, lorsqu’on l’évoque, c’est pour la révoquer : on l’associe au chaos, au tumulte, à la désagrégation. L’avenir, on le sait, est plus que jamais au spectacle, c’est-à-dire à la marchandisation, matérielle comme humaine, à la réduction des individus à leur capacité à consommer et à la numérisation (qu’on prenne ce terme en son sens le plus vaste). Astolphe de Custine, dans La Russie en 1839 (réédition Classiques Garnier, 2018), parle des villages de façades qui faisaient croire à Catherine II, lors de ses voyages dans les provinces reculées, à la prospérité de son Empire. Nos démocraties de façades, bien qu’elles ne dupent personne (excepté ceux qui ont intérêt à être dupés, ou à le laisser entendre), ont plus de solidité que les bourgades inexistantes destinées à leurrer la tsarine.

Plasmas, Céline Minard (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 30 Janvier 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, En Vitrine, Rivages poche, Cette semaine

Plasmas, Céline Minard, Rivages Poche, octobre 2023, 176 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): Céline Minard Edition: Rivages poche

 

La plume de Céline Minard est incapable de résister à la tentation d’un bon sujet, d’une bonne histoire, à raconter d’un style implacable, une langue à la fois simple dans sa structure et poétique dans ses envolées. Cette fois-ci, pour les nouvelles composant Plasmas, c’est la science-fiction qui a tenté cette plume rigoureuse et pourtant joueuse. Le verbe « composer » n’est pas vain, car ces dix nouvelles, dans leur disparité thématique apparente, dialoguent, se répondent, incitent le lecteur à voyager de l’une à l’autre pour vérifier un écho, une impression fugace – l’écho le plus évident étant entre Boules à neige et La Kuïn, puisque les deux évoquent une « boule de verre liquide » permettant de visualiser la planète, à ceci près que dans la première nouvelle, elle sert à un souvenir lointain à des désormais nomades interstellaires, tandis que dans la seconde, elle sert à une Greta Thunberg pré-apocalyptique (c’est-à-dire : juste avant) à une démonstration de l’état du monde que seuls les moins de douze ans semblent comprendre tripalement. Un autre écho, subtil, est relatif aux papillons, à leur importance comme signaux, que ce soit dans Casino Baldo, Uiush ou, à nouveau, La Kuïn.

L’enfant thérapeute, Samuel Dock (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Mardi, 30 Janvier 2024. , dans Les Livres, Recensions, Essais, La Une Livres, Plon

L’enfant thérapeute, Samuel Dock, janvier 2023, éditions Plon, 334 pages, 20,90 € . Ecrivain(s): Samuel Dock Edition: Plon

 

On connaît Samuel Dock pour ses essais vifs et érudits comme Le Nouveau choc des générations (co-écrit avec Marie-France Castarède, Editions Plon, 2015), pour son talent de vulgarisateur dans Eloge indocile de la psychanalyse (Editions Philippe Rey, 2019), parfois même pour son impertinence et son humour improbable… Mais dans ce dernier livre, L’enfant thérapeute, c’est une tout autre histoire qui se dévoile, bien plus personnelle, celle de son enfance, ou plutôt celle de sa maman. Il y raconte son « état fantôme », les infâmes maltraitances de l’innocence de l’enfance. Il se livre et se délivre en tant qu’enfant thérapeute. Dans cette histoire très personnelle, Samuel dévoile un non-dit familial, douloureux, un choc invisible mais tenace. Cette histoire profondément émouvante et sincère éclaire sur l’effet « prison » des violences intrafamiliales. Y survivre crée une liberté incommensurable. Et une énergie de vie instinctive et créative.

La chaise du fond, Christian Milleret (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 29 Janvier 2024. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

La chaise du fond, Christian Milleret Éditions du Petit Pavé – Mars 2013 180 pages – 18 €

Le début du roman nous prépare à la possibilité d’une « libération » pour son héros, Vincent : en pleine fleur de l’âge, celui-ci ne cesse de ressentir chaque jour l’espace étriqué de son village, l’esprit étriqué de ses habitants – apparemment, ceux-là acceptent sans conscience un quotidien monotone et dépourvu de relief. Face à cela, Vincent attend impatiemment que s’achève le dernier été qu’il passera dans son village, car il a décidé de rejoindre la capitale, ses lumières et son cousin Tom. Obsédé par le destin d’un père mort trop tôt – un père alcoolique et parfois violent, trop intelligent pour supporter les vicissitudes d’une vie rétrécie –, le héros a pour ambition de « vivre » et d’affirmer une volonté dont semblait incapable son père. Néanmoins, ses plans demeurent incertains.

Le roman annonce ainsi le tressage d’un chemin de réussite, celui d’un « provincial » encore néophyte. La détermination du personnage est telle (notamment pour sortir de sa situation de départ) qu’on le croit prêt à braver tout obstacle et à dépasser, sur sa voie future, les derniers pans écroulés de sa naïveté. Mais si la réussite, en l’occurrence celle de Thomas, fait bien partie du paysage parisien dans lequel il tombe, les circonstances s’apprêtent lentement à favoriser la désillusion. La ville et ses lumières, convoitées avec tant de force, laisseront progressivement place à un espace plus obscur.