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Les Livres

Méditer sans maître, Peter Hart (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 17 Avril 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Méditer sans maître, Peter Hart, éditions Milagro, février 2023, 132 pages, 10 €

 

 

Texte hanté/texte enté

Voilà bien la démonstration en acte de ce que la poésie réserve à celui qui y prête attention. On y voit ici, certes, le contenant, la langue, l’expression ou le style, mais aussi, par transparence, comme en coalescence, le poète lui-même, son humanité, sa personne. Et cette expérience de lecteur revient à cohabiter évidemment avec le langage, mais aussi avec le monde – car le poème a ce double statut : être et paraître. Ainsi, cette fusion de la parole poétique avec la présence propre du poète, nous laisse apercevoir une personne hantée, comme souvent on est habité par le souvenir dans le jeu de la mémoire – organe plastique.

Le Livre des Laudes, précédé de Requiem, Patrizia Valduga (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 14 Avril 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie, Arfuyen

Le Livre des Laudes, précédé de Requiem, Patrizia Valduga, Arfuyen, février 2023, trad. italien, Christian Travaux, 240 pages, 18,50 €

 

Une poète, à 38 ans, (1991), perd son père ; puis (2004), à 51, son compagnon (le célèbre poète Giovanni Raboni). Elle est déjà célèbre ; elle écrit des choses osées, instruites, maîtrisées. Osées (brillamment sensuelles, utilement scandaleuses) ; instruites (elle cite et traduit Proust, Shakespeare, Valéry, John Donne, Molière…) ; maîtrisées (elle aime s’exprimer en formes fixes de la tradition poétique : elle y puise de quoi évoquer inlassablement – dans de rituelles redites – ce qui ne peut se laisser penser pas même une fois ; et mendier aux Muses, ou aux anges, initiatives remédiatrices et interventions gracieuses, pour ce qu’on n’a pu accomplir pas même une fois). Et soudain, à l’occasion de l’un et l’autre deuil, correspondant aux deux ensembles poétiques ici réunis, la voici qui, improbablement, spectaculairement, et comme farouchement, supplie, régresse et s’humilie :

Elle regrette par exemple d’avoir écrit des poèmes érotiques, non qu’elle en soit honteuse, mais elle craint d’y avoir été inauthentique (d’avoir mis en scène ce que son expérience de la chair réelle n’aurait pu personnellement suivre, ni relayer).

Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, Mabrouck Rachedi (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 14 Avril 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Grasset

Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, Mabrouck Rachedi, Grasset, janvier 2022, 216 pages, 18,50 €

 

Dans son dernier roman, Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, Mabrouck Rachedi nous fait pénétrer au centre d’une famille nombreuse issue de l’émigration, la famille Asraoui, dont il va scruter toutes les contradictions avec l’attention d’un entomologiste. Le récit est écrit à la première personne. Le narrateur, appelé dans sa famille « le petit Malik », est un observateur méticuleux des remous interfamiliaux. Il utilise le « je » pour que le lecteur puisse s’identifier aux personnages. On peut parler d’un long monologue intérieur tourmenté. Pour cela le narrateur va entrer dans la peau de chacun.

À certains moments, il délègue le soin de raconter à un tiers qui s’empare alors d’un épisode précis du périple. Comme dans le théâtre classique, il va opter pour l’unité de lieu : une péniche, louée un soir par le frère du milieu qui n’a pas lésiné sur la dépense, façon pour lui d’affirmer sa légitimité et sa toute puissance en exhibant une réussite éclatante. L’unité de temps sera concentrée dans cette seule soirée. Cependant, cela sera le moment pour le narrateur de pratiquer le retour en arrière afin de remonter le temps et de revisiter son existence et celle de sa famille.

La main sur le cœur, Yves Harté (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 13 Avril 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Arts, Le Cherche-Midi

La main sur le cœur, Yves Harté, Le Cherche-Midi, Coll. Les Passe-Murailles, août 2022, 160 pages, 18,90 € Edition: Le Cherche-Midi

 

« À mesure que se croisent le souvenir de Veilletet et le portrait de Juan de Silva, comme deux images au-dessus de ces plaines où nous avions si souvent roulé, je vois naître leur tristesse soigneusement masquée. Trop d’exubérance chez l’un. Trop de solennité chez l’autre ».

« Ici je me sens sudiste, et j’ai mes zones humides jusqu’au fond de l’Andalousie, dans La Marisma. La vache flamande ou médocaine y est remplacée par le taureau de combat, mais c’est le même territoire imbibé, que le soir enveloppe de vapeurs et de silence, le même horizon bas qui s’affale pour laisser toute la place au ciel dans le tableau » (Pierre Veilletet) (1).

La main sur le cœur est un livre, où un tableau, un portrait unique et admirable, déclenche chez l’auteur une effervescence de mémoire. Il retrouve, par le miracle d’une toile du Greco et de son modèle, un temps qu’il croyait perdu. Ce temps qu’il partagea avec Pierre Veilletet (2), sur les routes d’Espagne, entre les musées et les arènes, dans des années déjà anciennes où un toro noir d’Osborne, perché sur une colline, veillait sur les voyageurs.

A ceux qui ont tout perdu, Avril Bénard (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Jeudi, 13 Avril 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

A ceux qui ont tout perdu, Avril Bénard, Editions des Instants, janvier 2023, 195 pages, 19 €

 

Que feriez-vous si demain des soldats vous demandaient de faire vos bagages en 2 heures pour prendre un bus et se sauver ? Comment « faire le bagage d’une vie » ? C’est ce qu’a imaginé l’auteure à travers 8 personnages : Manon et Jeanne (sa fille), Louis (son mari), Paul, Marek, une dame âgée, Shoresh (sourd de naissance), Guy (« SDF ») et Totem (son chien). Ainsi qu’une famille nombreuse, qui forme la psyché d’une famille unie et un « je », né comme l’auteure en 1986. La date est importante car elle témoigne du début d’un certain désenchantement du monde industriel. Les années 80 ont créé de jeunes adultes fragiles, une génération qui croit en l’avenir et non pas en dieu. Mais à quel saint se vouer une fois que l’avenir se dissout et que l’on ne réussit plus à l’imaginer ?

Ce roman est particulièrement incisif car il reflète à la fois la légèreté de la vie moderne et sa fragilité. Tout peut basculer du jour au lendemain. L’auteure arrive à jouer plusieurs partitions à partir d’un même évènement. Elle sait mettre en valeur la différence de coloration psychique d’un fait identique qui rebondit de chapitre en chapitre à travers chaque personnage.