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La Une Livres

Quand monte le flot sombre, Margaret Drabble

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 13 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Christian Bourgois

Quand monte le flot sombre (The Dark Flood Rises), mars 2017, trad. anglais Christine Laferrière, 452 pages, 23 € . Ecrivain(s): Margaret Drabble Edition: Christian Bourgois

 

Ce roman sombre et grave est très attachant. Son personnage central, Fran, est une « jeune » septuagénaire autour de laquelle se déploie un réseau serré d’ami(e)s, de famille, et vieilles personnes qu’elle va visiter dans des institutions spécialisées en gérontologie. Ce n’est pas un métier, c’est une sorte de mission personnelle, en tout cas une véritable passion. C’est la mort qui passionne Fran. Pas la mort quand elle survient vraiment, mais quand elle est à l’œuvre chez les gens qui vieillissent, quand elle érode les corps, les plissent, les affaiblit, leur provoque des douleurs. Ce qui passionne Fran c’est « quand monte le flot sombre ».

Cela n’est pas fait de façon sinistre ou angoissante, loin de là ! Ce roman est doux, plein de tendresse et d’optimisme. Les personnages – même ceux que la vie a éloignés géographiquement – se préoccupent les uns des autres, maintiennent les liens du cœur issus de leur jeunesse. Fran est une « grande sœur » pour Teresa, une vieille amie malade, pour Claude, son ex-mari – également malade (faut-il le préciser ?), pour tous les gens qu’elle visite, pour ses enfants bien sûr.

L’art du livre tactile, Catherine Liégeois

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 13 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Gallimard, Arts

L’art du livre tactile, mars 2017, 160 pages, 32 € . Ecrivain(s): Catherine Liégeois Edition: Gallimard

 

Livres monstres

Ce qu’un livre montre n’est pas toujours ce que l’on croit. Le logo qu’il contient non seulement peut prendre un autre sens, il peut se toucher. En devenant tactile et sous divers registres le livre crée un « saisissement » particulier autant pour les enfants que les adultes, pour les handicapés que les esthètes avides de trouver de quoi optimiser leurs différences.

Bref, le livre ouvre bien au-delà de ses attendus classiques. Non seulement le livre se hume, se caresse, offre une intimité particulière qui s’interprète tactilement en devenant signe et non seulement contenant les significations. Il devient une peau non fuyante, elle se grève de stigmates. Le livre est donc un objet volumique qui se palpe, se tâte. Son aspect tactile devient par lui-même objet de connaissance. La texture peut piquer, râper voire modifier un propos purement typographique selon des connexions que Catherine Liégeois met en exergue de manière originale. Ce qui se creuse devient palpable parfois pour permettre au non voyant de voir, à l’apprenti érudit de comprendre et à l’amateur de sensations fortes de quoi éprouver des rencontres singulières.

Les yeux bordés de reconnaissance, Myriam Anissimov

Ecrit par Stéphane Bret , le Jeudi, 13 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Seuil

Les yeux bordés de reconnaissance, mars 2017, 237 pages, 19 € . Ecrivain(s): Myriam Anissimov Edition: Seuil

 

La frivolité et la superficialité sont-elles des attitudes adéquates, vraiment dignes lorsque l’on est parente de victimes de la Shoah, et que l’on a pour projet d’écrire ? Myriam Anissimov se trouve dans ce cas. Elle tente dans un très beau récit de formuler une réponse à cette question qui marque notre époque de son empreinte depuis 1945.

Le récit se compose de trois parties, d’intérêt inégal, mais illustrant ce mécanisme déclencheur de la volonté de savoir, et d’appropriation d’un événement. Au départ, c’est la vision du film Le Fils de Saul, évoquant l’extermination de quatre cent mille Juifs hongrois à Auschwitz-Birkenau et le rôle de Saul Ausländer qui décide de donner une sépulture à un adolescent déjà mort. Dès lors, c’est la recherche qui est de rigueur, le positionnement vis-à-vis de l’Histoire, de la Shoah, de la place que cette dernière va inévitablement tenir dans la mémoire personnelle de Myriam Anissimov. La première partie, consacrée à la relation qu’entretient Myriam Anissimov avec Romain Gary, est source de révélations très personnelles de la part de l’écrivain. Il avoue ainsi à Myriam ne s’être jamais remis d’un amour de jeunesse, Ilona, jeune femme qu’il avait revue, à ceci près que cette dernière ne l’avait pas reconnu.

Rhapsodie curieuse (diospyros kaki), Alexander Dickow

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 12 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions Louise Bottu

Rhapsodie curieuse (diospyros kaki), janvier 2017, 64 page, 8 € . Ecrivain(s): Alexander Dickow Edition: Editions Louise Bottu

 

« Vers la fin novembre apparaît sur les étals un genre de tomate d’un orangé irritant et maladif, un orangé aux splendeurs fictives, aux fièvres acides. Le présentoir de ces fruits moulé comme un carton d’œufs empêche que des chairs ne s’entrechoquent ou s’éclatent ».

Rhapsodie curieuse est un livre de chants, de contes d’éclats, d’envolées, et de pirouettes dans et avec la langue. Au tout début était le kaki – un mot grec (diospyros), japonais (kaki), algonquin (piakimina) –, ce fruit rare qui se livre à nos yeux et à nos papilles vers la fin novembre, un fruit qui, comme l’auteur, en sait plus qu’il ne veut bien en montrer, et qui s’épanouit dans cette rhapsodie. Comme le petit livre d’Alexander Dickow, il faut ouvrir un kaki pour le voir, comme pour le croire d’ailleurs. L’écrivain, tel un rhapsode, porte sur la place littéraire ses contes – Vivaient en Chine un père avec un fils, Yang Wu et Yang Mo, apiculteurs l’un et l’autre… Dans un lointain tout au fond d’ici vivait un grand roi nommé Lev, généreux, sensible et tyrannique… – et notations, ses aventures où les phrases et les mots se décousent, se retournent, s’aiguisent, dans un livre singulier, qui comme le fruit dont il porte le nom, aiguise lui aussi l’appétit, avec une vive envie de langue et de langues.

Sainte Caboche, Socorro Acioli

Ecrit par Cathy Garcia , le Mercredi, 12 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman

Sainte Caboche, Belleville éditions, mars 2017, trad. Portugais (Brésil) Régis de Sá Moreira, ill. couv. Fernando Chamarelli, 242 pages, 19 € . Ecrivain(s): Socorro Acioli

 

C’est un vrai régal cette Sainte Caboche, premier roman publié par ces prometteuses éditions Belleville, qui offrent une particularité, celle de publier une littérature d’ailleurs, populaire et connectée, ce qui permet de découvrir et approfondir via internet différentes thématiques de l’ouvrage. Dans celui-ci, on retrouve toute la tendresse, la simplicité, l’autodérision et la ferveur de l’âme brésilienne, et tout particulièrement celle de la région la plus pauvre du pays, le Nordeste. Illustré par de belles impressions en noir et blanc d’Alexis Snell, qui rappellent, et ce n’est pas un hasard, les gravures de la littérature de cordel, Sainte Caboche nous offre aussi des glissades vers le fantastique, ce réalisme magique cher à la littérature latino-américaine. On y retrouve aussi tous les contrastes de cette terre, notamment entre une forte et souvent naïve aspiration de la population au mysticisme et la mégalomanie des notables si facilement corruptibles. C’est un roman tout plein de coração, qui sous sa simplicité apparente ne manque pas pour autant de profondeur. Le style en est limpide comme un ruisseau.