L’art du livre tactile, Catherine Liégeois
L’art du livre tactile, mars 2017, 160 pages, 32 €
Ecrivain(s): Catherine Liégeois Edition: Gallimard
Livres monstres
Ce qu’un livre montre n’est pas toujours ce que l’on croit. Le logo qu’il contient non seulement peut prendre un autre sens, il peut se toucher. En devenant tactile et sous divers registres le livre crée un « saisissement » particulier autant pour les enfants que les adultes, pour les handicapés que les esthètes avides de trouver de quoi optimiser leurs différences.
Bref, le livre ouvre bien au-delà de ses attendus classiques. Non seulement le livre se hume, se caresse, offre une intimité particulière qui s’interprète tactilement en devenant signe et non seulement contenant les significations. Il devient une peau non fuyante, elle se grève de stigmates. Le livre est donc un objet volumique qui se palpe, se tâte. Son aspect tactile devient par lui-même objet de connaissance. La texture peut piquer, râper voire modifier un propos purement typographique selon des connexions que Catherine Liégeois met en exergue de manière originale. Ce qui se creuse devient palpable parfois pour permettre au non voyant de voir, à l’apprenti érudit de comprendre et à l’amateur de sensations fortes de quoi éprouver des rencontres singulières.
Le livre devient sculptures selon diverses découpes et structures. Jean-Marc Paubel, Marc Pessin, Eole, transfigurent la surface pour l’habiller de rides, d’incisions qui enchantent et ne coulent plus simplement entre les doigts. Des reliefs remplacent le glacé pour appeler d’autres réalités. Car sur le clavier des sens, le tactile crée un plaisir et une lumière en divers talus que la main saisit à vif. Le livre « bâille » soudain autrement. Son « grain » remplace les mots tout à coup débordés. Hors d’eux, le livre devient un autre type de maison du sens. Elle ne glisse pas entre les mains. Elles s’y accrochent.
Le tactile est exalté par une forme d’ivresse physique et pour une nouvelle éducation des sens. En une conception plus large du concept même de livre, et en devenant volume au sens complet du terme, un tel « objet » de culture et de beauté invente une défense des sens et un exorcisme de la simple « idée ». Ils permettent de passer à une connaissance et un supplément d’être qu’il n’est pas facile à atteindre lorsque le livre se décline en sa conception classique. Bien des artistes l’ont remis en question. Mais ils ne sont pas les seuls. Et depuis l’invention du médium, Catherine Liégeois remonte cette histoire dont la jaquette même de son livre propose une « solution ».
Par son aspect tactile, le livre offre une plongée, une morsure, un bain friselé. Il se révèle sculpté et non seulement par les traces et traductions cartographiées du temps qui passe. La rencontre avec un écrivain mais aussi avec un typographe, un graveur de pierre, un céramiste, un relieur, crée un plaisir total pour le lecteur qui découvre là des reliefs et des cristallisations que parfois il ne soupçonnait pas en ce nouveau contact.
Jean-Paul Gavard-Perret
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