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Journal, 1908-1943, Käthe Kollwitz (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 19 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Arts, L'Atelier Contemporain

Journal, 1908-1943, mars 2018, trad. allemand Micheline Doizelet, Sylvie Doizelet, 312 pages, 25 € . Ecrivain(s): Käthe Kollwitz Edition: L'Atelier Contemporain

Née en 1867 à Königsberg (Kaliningrad, en 1946), Käthe Kollwitz mourut le 22 avril 1945. Ce gros volume, richement illustré, introduit par Sylvie Doizelet (pp.7-32), reprend le « journal » tenu par la graveuse et sculptrice durant 36 années.

De belles photos en noir blanc de l’artiste, de ses proches (Karl, son mari, ses fils Hans et Peter…), de ses ateliers, de ses œuvres ; des reproductions couleurs de ses crayons, encres, plumes, pastels, eaux fortes, lithographies, sculptures, occupent une quarantaine de pages (pp.33-80). La couverture (photo de K. Kollwitz dans son atelier, Berlin, 1936), l’autoportrait par Philipp Kester de 1906, en page de couverture 2, l’Autoportrait de face, lithographie de 1904, en 3ede couverture, nous insèrent dans l’univers des mains et du visage de l’artiste, à l’image d’une densité et d’une intensité sans pareilles.

Entrer dans ce journal, c’est vouloir comprendre « une vie » toute consacrée à la famille et à l’art, ce ne sont pas simplement des mots faciles, c’est l’essentiel de cette vie, puisque les tragédies familiales (la perte de son fils Peter, âgé de 18 ans, la première année de guerre, 1914), les aléas de la vie de tout artiste dans la quête du plus juste, du plus nu, du plus vrai vont s’imbriquer de telle manière qu’on ne peut s’attacher à les voir séparément. La vie artistique et la vie familiale sont liées inexorablement, intimement, résolument.

La coupe de bois, Carlo Cassola (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Critiques, Roman, En Vitrine, Italie, Editions Sillage

La coupe de bois (Il Taglio del Bosco, 1949), traduit de l’italien par Philippe Jaccottet, 119 p. 9,50 € . Ecrivain(s): Carlo Cassola Edition: Editions Sillage

 

Comment ce miracle ? Comment ce petit livre, pas un roman, à peine une novella, peut-il condenser en une centaine de pages toute la magie de la littérature ? L’ampleur du style, son immense simplicité, des personnages taillés au burin, une histoire élémentaire, et la détresse des hommes, tout est là pour faire de ce petit roman un monument de littérature. Il semble que les écrivains italiens aient eu au XXème siècle un tropisme pour ce genre de la novella ancrée dans les profondeurs du pays, ses villages et ses montagnes. On pense à Leonardo Sciascia (La tante d’Amérique), surtout à Silvio d’Arzo (La maison des autres).

Guglielmo est bûcheron. Il vient d’acheter une coupe dans les bois perdus dans les Abbruzes. Il s’y rend après avoir embauché quatre hommes, plus ou moins ses amis, pour une période de six mois – automne et hiver – à couper des pins pour en faire du charbon qu’il vendra. Il est content car l’affaire est bonne. Et ce sont ces six mois, où il ne se passe rien d’autre que la coupe et les soirées dans la cabane construite dans le bois, que ce livre raconte. Rien d’autre. Mais qui a besoin d’autre chose ? L’écriture de Cassola fait le reste, c’est-à-dire l’essentiel.

L’Epine blanche, Jacques Moulin (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Jeudi, 18 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Polars, L'Atelier Contemporain

L’Epine blanche, septembre 2018, lecture de Michaël Glück, dessins de Géraldine Trubert, 111 pages, 20 € . Ecrivain(s): Jacques Moulin Edition: L'Atelier Contemporain

 

« L’épine blanche » (spina alba), autre nom de l’aubépine, c’est d’abord la plante qui représente la mère à laquelle le livre est consacré, mère morte également nommée tout au long du livre par une lettre D pour Denise, première lettre aussi des mots « décès » et « deuil ».

L’aubépine buissonnante ou épineuse. L’arbrisseau qui s’élève à tiges rameuses. D est seule à sa fenêtre face à la mer – sa prairie permanente. Spina alba. D la Blanche. La dame d’albâtre en ses falaises (p.75-76).

La mère « d’albâtre » aux cheveux blancs, les falaises crayeuses de Normandie, et en écho lointain les « pays calcaires sans littoral », région du Jura où son fils unique a élu domicile, enveloppent le texte dans un blanc sépulcral que mettent en valeur la couverture des belles éditions de L’Atelier contemporain et les paysages en gris-bleu et blanc des sobres dessins de Géraldine Trubert.

Deuil discipline d’écriture et devoir de notation. Le fils veut noter. Consigner l’essentiel avec des stop télégraphiques (p.14).

Quintet, Frédéric Ohlen (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Jeudi, 18 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Quintet, mars 2014, 354 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Frédéric Ohlen Edition: Gallimard

 

Quintet, comme son nom l’indique, est un roman composé de cinq voix différentes que le destin emporte dans son tourbillon pour former une œuvre riche et entêtante. Ce Quintet prend place au XIXesiècle, à la naissance de la Nouvelle-Calédonie. Les Français étaient là depuis quelques années  et « le pays comptait moins de quatre cents civilsla plupart cantonnés dans la capitale, si on pouvait appeler ainsi une ville aux rues non pavées, sans port aménagé, sans eau potable. Une cité puante, montueuse et marécageuse en diable (…) ». Quatre cents civils si l’on ne comptait bien sûr la population autochtone répartie en une multitude de tribus. Et qui dit naissance dans le cas d’une terre déjà habitée, oublie souvent de dire que c’est le début de la fin pour la culture et la liberté de ceux qui étaient déjà là bien avant, fût-ce depuis des millénaires.

Quatre cents « Men-oui-oui » donc, comme les appelaient les Kanak, « au verbe haut et à la peau rouge, qui sillonnent le pays à grand pas, creusent des trous sans rien y mettre, lavent l’eau des rivières sans la boire ».

« Quand les White Men sont contents, à l’occasion d’un anniversaire ou pour marquer un grand événement, ils tirent dans le vide. Pour le plaisir. Celui d’exhaler tant de puanteur que le ciel recule ».

Oaristys et autres textes, Remy Disdero (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 18 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Oaristys et autres textes, Editions Cormor en Nuptial, 128 pages, 2018 . Ecrivain(s): Remy Disdero

 

Les raisons de la colère

Remy Disdero fait pleuvoir des mots en gouttes de nuit. La neige elle-même y semble noire et parfois glisse en cascades et mouvements de foudre. Des soifs voudraient écrire des sources pour nager vers l’arbre-prière sur la brise des échoués. Mais ne restent au bas des pentes et des villes « que le froid de la nuit qui vient à ronger les peaux des clochards ».

Mais il convient toujours, face aux dissolutions, de retrouver une parole charnelle et se laisser faire par elle à la manière d’un Daumal le « funambule » ou de Michaux qui, quoique « bras cassé », resta à sa manière un Icare.

Même les petits bonheurs ne viennent plus de la nature. Celle-ci tourne à un certain désastre. Peu de princesses de l’azur : dans le puzzle humains, beaucoup de pièces sont noires. La paix est rarement au rendez-vous là où les chiens rodent.