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De la mort au matin, Thomas Wolfe (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 27 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Nouvelles, Stock

De la mort au matin (From Death to Morning, 1935) traduit de l’américain par R. N. Raimbault et Ch. P. Vorce. 280 p. . Ecrivain(s): Thomas Wolfe Edition: Stock

 

Ce recueil de textes est présenté – et c’est bien normal – comme un recueil de nouvelles. Or rien n’est plus étranger à Thomas Wolfe que ce genre littéraire spécifique. Si l’on s’en tient à la forme, oui, il s’agit de courts récits sur divers moments ou thèmes, des « nouvelles » donc. Mais très vite – pour qui connaît un peu l’œuvre du géant du Sud (par la taille et le génie) – on se rend compte qu’il s’agit de bribes de la montagne de feuilles manuscrites que Wolfe apporta un jour à son éditeur, le bon Maxwell Perkins de Scribner effaré, et dans laquelle il dut piocher, rapiécer, restructurer, pour en faire naître enfin quatre romans fabuleux et des « nouvelles » étincelantes. L’œuvre de Wolfe, en d’autres termes, est UNE, un bloc indissociable même s’il fut dissocié pour des raisons éditoriales. Wolfe se raconte comme une fiction, ou plutôt il raconte, dans un flot inextinguible, ce que sa mémoire ahurissante lui dicte. La phrase obsessionnelle en est l’outil, qui détaille tout, les recoins des lieux, des personnages, des faits. Le style de Wolfe est obsessionnel, fait de phrases récurrentes, d’imprécations exaltées, de champs lexicaux surchargés.

De la Souveraineté, À la recherche du bien politique, Bertrand de Jouvenel (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 27 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Calmann-Lévy

De la Souveraineté, À la recherche du bien politique, Bertrand de Jouvenel, 2019, 480 pages, 22,50 € Edition: Calmann-Lévy

 

Que sont la souveraineté, l’autorité, l’obéissance ? Pourquoi un être humain accepte-t-il d’obéir à un autre être humain, qui ne lui est pas objectivement et ontologiquement supérieur ? Contrairement à ce que proclame la vulgate rousseauiste, l’homme ne naît pas libre. Peu de créatures vivantes sont, en ce monde, aussi dépendantes qu’un nouveau-né, qui ne survivrait pas plus de quelques heures sans les soins attentifs de sa mère. Si exaspérants soient-ils, les hurlements du nourrisson expriment avant tout son absolue faiblesse. Jusqu’à un certain âge, l’enfant obéit à ses parents, parce qu’il ne serait rien sans eux. Cela est au moins clair. Mais dans les entreprises, dans la société, pourquoi obéit-on ?

Bertrand de Jouvenel (1903-1987) est un des grands (et des rares) penseurs politiques que la France ait produits au XXe siècle (avec Julien Freund et Raymond Aron).

La Péninsule aux 24 saisons, Mayumi Inaba (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 26 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Japon, Philippe Picquier

La Péninsule aux 24 saisons, Mayumi Inaba, trad. japonais, Elisabeth Suetsugu, 240 pages, 19 € Edition: Philippe Picquier

 

Ce roman fait la célébration de l’instant. Et en participant à cette célébration, l’héroïne est invitée à convoquer les grands événements de sa vie : son départ vers la capitale lorsqu’elle était en pleine jeunesse, la mort d’une amie chère, la fin d’une histoire d’amour… Pendant que ces souvenirs se chevauchent, cette héroïne, dont le nom ne nous est pas dévoilé, comme si elle représentait une entité plus qu’un personnage singulier, a décidé de passer un temps indéterminé dans la maison qu’elle a fait construire il y a plusieurs années, sur la presqu’île de Shima. En effet, en raison de l’admiration ressentie face aux falaises « blanches et sèches », l’achat d’un terrain s’était imposé contre l’avis des proches, qui trouvaient l’idée saugrenue. Outre son nom, nous ne savons rien non plus sur l’âge de l’héroïne, mais après quelques déductions, on suppose facilement qu’elle a une soixantaine d’années – tout comme Mayumi Inaba avait une soixantaine d’années lors de l’écriture de ce livre.

Carnets du Barroso, Serge Prioul (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 26 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Carnets du Barroso, Serge Prioul, éditions Vagamundo, coll. Liber, 2014, 64 pages, 21 €

 

Entre Bretagne et Lusitanie

Ce serait tentant de pasticher le grand Jules : « Il vous naît un ami, et voilà qu’il vous cherche… ». Il est vrai que cette machine – tout de même – souvent décriée offre de belles rencontres, et que le virtuel ma foi a bien d’autres acceptions…

Voilà un poète, né comme moi en 55, autant dire, « y a deux siècles », tant le confinement nous renvoie à d’autres usages ; voilà un poète chèvre donc, qui s’amuse des pierres et les taille pour en faire des murets, des murettes ; voilà un poète qui cisèle des poèmes vrais.

La vraie vie coule dans ces textes nés d’une ferveur : il en va de ces écrivains qui, par le biais de leurs textes, proses ou poèmes, respirent, transpirent la vraie vie, tant la charge du vrai pèse sur leurs frêles épaules. Mais le poète, ici, a la paysanne force de ceux qui ont œuvré, les épaules larges du soutènement.

La Maison de papier, Françoise Mallet-Joris (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Lundi, 25 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

La Maison de papier, Françoise Mallet-Joris, 276 pages, 19 € Edition: Grasset

 

« La maison est en carton », écrit Françoise Mallet-Joris. « Tout s’y brise, s’y empoussière, y disparaît, sauf le plus éphémère. Il n’y a pas d’ordre, pas d’heure, pas de menus […] ». Hommes et bêtes entrent et sortent, invités ou non ; ils restent un peu, beaucoup, pas tout. Cette maison, c’est la sienne, où elle vit avec son époux, le peintre Jacques Delfau, ses quatre enfants, une femme de ménage – Dolorès le plus souvent – et l’une ou l’autre bestiole plus ou moins bienvenue.

C’est une maison où règnent, en sus du désordre, la joie et l’insouciance, et c’est le premier agrément de ce récit que cette atmosphère allègre et bohème que l’auteure y installe. Ce logis fait un peu figure de paradis perdu et instille une nostalgie douce ou amère, selon que l’on a ou non connu un foyer si chaleureux, si gai. On s’y sent comme invité, convié à une sorte de festin sans façon où il manquera sans doute des couverts ou des assiettes – mais rien d’essentiel. Car la maison de papier n’est pas close, elle ne serre pas jalousement son bonheur, bardée d’œillères : elle a le sens de l’accueil, elle est ouverte aux autres et au monde, aux peines de ceux qui sont en butte à l’adversité, aux problèmes de la société française des années 1970.