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Du côté de Canaan, Sebastian Barry (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 05 Janvier 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Folio (Gallimard)

Du côté de Canaan (On Canaan’s Side, 2011) traduit de l’anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni, 331 p. . Ecrivain(s): Sebastian Barry Edition: Folio (Gallimard)

Sebastian Barry est irlandais jusqu’au bout des doigts. Et de la plume. Ses héros de Des jours sans fin, empêtrés dans les guerres sanglantes de l’Amérique, gardaient tous deux la terre d’Irlande à la semelle de leurs bottes. Et dans le roman qui nous occupe, c’est encore ce pont historique entre l’Irlande et les États-Unis que la narration traverse, aux côtés de la vieille Lilly.

Lilly est la narratrice ou, plus exactement, la plume de Sebastian Barry car elle ne se contente pas, à 89 ans, de raconter son histoire mais elle l’écrit, sur un carnet de notes, assise à une table en formica rouge. C’est donc ce récit écrit que nous lisons, ce qui donne une puissance toute particulière à ce roman car l’écriture de « Lilly » donne « du temps au temps » et permet des exercices de style virtuoses, dont on sait que Barry est friand. Les souvenirs, irlandais, puis américains, de cette « oie sauvage »*, déferlent en un flot lent, méandreux, d’une précision mnésique parfaite. La force narrative de Barry tient essentiellement dans ce style, en phrases longues, souvent très longues, mais toujours animées d’un grand dynamisme intérieur et d’une parfaite clarté. Cette écriture ample serpente autour du récit de Lilly, lui fait un précieux écrin, rend les événements saillants quand ils viennent interrompre momentanément le fleuve narratif.

Le regard inconnu, Silvia Baron Supervielle (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 05 Janvier 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Gallimard

Le regard inconnu, octobre 2020, 110 pages, 12 € . Ecrivain(s): Silvia Baron Supervielle Edition: Gallimard

 

Une femme à sa fenêtre

Ecrire n’est venu à l’esprit de celle qui était encore adolescente que progressivement : « J’écrivais des poèmes et des contes en espagnol, mais je ne pensais pas sérieusement à écrire ». C’est même après son arrivée en France que tout commence réellement et ce, au moment où elle passe de sa langue maternelle au français : « J’ai pas mal tardé à changer de langue. Pour faire plaisir à mes amis, qui voulaient lire quelque chose de moi, je me suis mise à écrire en français. Ça m’a beaucoup plu, je voyais les choses d’une autre façon ».

Le passage d’une langue à l’autre en effet n’est jamais de l’ordre du simple transfert mais de l’infusion. Et l’auteure dans sa nouvelle langue donne à sa langue de jeu un caractère moins baroque. Cela resserre sa pensée là où comme chez Beckett s’instruit un travail d’économie lexicale et aussi de solitude essentielle que fomente l’exil. Toutefois il n’exclut pas l’autre mais l’appelle.

Journaux de voyage, Bashô (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 05 Janvier 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Japon, Verdier

Journaux de voyage, trad. japonais, René Sieffert, 128 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Bashô Edition: Verdier

 

 

Peut-être bien le plus grand poète que la terre ait porté. Sans doute le pèlerin et le marcheur le plus assumé. Que n’a-t-il traversé comme terres nipponnes ! Ce poète était aussi un fort en méditation, un expert du haïkaï, un fulgurant amateur de relations humaines authentiques.

Ses journaux de voyage relatent avec force détails ses pérégrinations incessantes. D’un gîte où il reçoit le couvert à un monastère qui l’accueille, le poète Matsuo a tout supporté des voyages, la forte chaleur, les maux de pieds, le froid cassant, l’ennui des traversées. Mais de tout cela il en a extrait une matière unique, tissée d’observations insignes du monde perçu. La moindre fleur, la plus petite bête, le moindre ciel changeant, le glissement subtil des saisons : tout est objet d’écriture immédiate .

Le Bois, Jeroen Brouwers (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 04 Janvier 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays nordiques, Roman, Gallimard

Le Bois, Jeroen Brouwers, octobre 2020, trad. néerlandais Bertrand Abraham, 352 pages, 22 € Edition: Gallimard

 

Du ressentiment au couvent

Il faut imaginer un lieu au nord de l’Europe, une région au parler rugueux, à l’atmosphère brumeuse ou neigeuse. Il faut imaginer encore un lieu quelque peu perdu, une petite ville minière, tout près de la frontière allemande dans le Limbourg, province catholique dans la Hollande protestante. Il faut imaginer également une époque, celle des années 50, au sortir de la guerre, engoncée dans ses conventions, son conformisme et ses préjugés. Et dans ce cadre spatio-temporel, il faut enfin imaginer un pensionnat de garçons, tenu par des franciscains, un ordre monacal qu’on appelle des « frères mineurs » ou encore un « ordre mendiant ».

A tous ceux qui ont connu l’expérience du réfectoire, des salles d’études ou du dortoir en internat ou la promiscuité d’une chambrée, ce livre de Jeroen Brouwers rappellera quelques souvenirs, bons ou mauvais, traumatiques peut-être. Des récits de collège abondent dans la littérature (Musil, Vallès, Montherlant, pour les classiques), à croire que ces lieux de confinement accentuent les tensions humaines et exacerbent désirs et passions, mais ce récit du romancier hollandais dénote particulièrement par la noirceur du ton.

Pourquoi j’ai mangé du lion, Jean-Pascal Bernard, Caroline Taconet (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 04 Janvier 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Jeunesse

Pourquoi j’ai mangé du lion, Jean-Pascal Bernard, Caroline Taconet, Ed. Les Petites Moustaches, octobre 2020, 72 pages, 12,50 €

 

Voici un roman policier où le commissaire Pillière et son adjoint Dentu sont amenés à enquêter sur un phénomène de taille : pour quelles raisons la girafe Ramona a-t-elle dévoré le lion Bouly, tous deux résidents du zoo de Vincennes ? Selon Pillière, très impressionné, malgré lui, par la présence de l’accusée, la thèse du crime passionnel semble privilégiée. Mais Dentu a une autre intuition : en interrogeant l’ex-compagne du fauve prénommée Sharon, une lionne quelque peu sans-gêne et possessive de surcroît, il apparaît que l’intention première du lion était de dévorer la girafe. Celle-ci aurait-elle flairé le danger et se serait-elle vengée par anticipation ? Est-elle plus calculatrice qu’on ne le pense de prime abord ? Pillière pourrait-il deviner que ses enfants lui apporteront la dernière clé de ce mystère ?

Avec beaucoup d’humour, Jean-Pascal Bernard confronte ici les êtres humains, qui ne maîtrisent plus vraiment la situation, à des animaux à demi sauvages, tout aussi névrosés que les bipèdes que nous sommes. Une manière de nous raconter que l’homme doit parfois se rendre humble devant certaines circonstances remarquables.