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La Une Livres

La Bible de ma mère, Emmanuel Godo (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 06 Octobre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Roman

La Bible de ma mère, Emmanuel Godo, éditions de Corlevour, Revue Nunc, juin 2022, 112 pages, 17 €

 

Marqué par le temps

La Bible de ma mère est un récit marqué par le temps, une image du temps, comme l’annonce Chris Marker dans La Jetée : « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. (…) il pensa avec un peu de vertige que l’enfant qu’il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d’abord le visage d’une femme, au bout de la jetée. Il courut vers elle. (…) il comprit qu’on ne s’évadait pas du Temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant, et qui n’avait pas cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort ». D’une autre manière rétrospective, Emmanuel Godo remarque sur la très ancienne Bible de la mère, qu’« avec le temps le cuir a pris des couleurs de pierre et de bois peint », puis une inscription encore visible sur la droite : « La Parole de Notre Dieu demeure éternellement, Esaïe XL, 8 ».

Petite nécropole littéraire, Gérard Oberlé (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 05 Octobre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Grasset

Petite nécropole littéraire, Gérard Oberlé, avril 2022, 414 pages, 24 € Edition: Grasset

 

On aurait tort de prendre les collectionneurs de livres anciens et ceux qui les approvisionnent pour d’aimables maniaques : les catalogues de ceux-ci et les rayonnages de ceux-là forment une mémoire de la littérature, car pour un phare, au sens baudelairien du mot, des milliers d’humbles auteurs croupissent dans l’oubli. Il est pourtant facile de les imaginer de leur vivant et de se représenter leur joie, lorsqu’ils reçurent leurs exemplaires d’auteurs, modulant en leur for intérieur ou dans leur correspondance quelque chose comme le non omnis moriar d’Horace, avant de les distribuer à leurs amis, collègues ou supérieurs. Et pourtant… les voilà presque aussi oubliés que s’ils n’avaient jamais existé. On dit que le passage de trois générations suffit à éteindre sans retour le souvenir d’un être humain. Le leur ne tient plus qu’à un fil très mince, à cette franc-maçonnerie des bibliopoles authentiques et de leurs chalands, qui se reconnaît à ses signes secrets, à ses connivences internes, comme l’évocation de Mario Praz, érudit fabuleux et grand collectionneur, à qui la superstition italienne attribuait des dons incontrôlables de nécromant.

Protest Song, La chanson contestataire dans l’Amérique des Sixties, Yves Delmas, Charles Gancel (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Mercredi, 05 Octobre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Arts, Le Mot et le Reste

Protest Song, La chanson contestataire dans l’Amérique des Sixties, Yves Delmas, Charles Gancel, Editions Le Mot Et Le reste, Coll. Attitudes, août 2012, 456 pages, 26 € Edition: Le Mot et le Reste

 


Le livre que signent Yves Delmas et Charles Gancel aux Éditions Le Mot Et Le reste, Protest Song, La chanson contestataire dans l’Amérique des Sixties, se définit d’emblée non comme un livre d’Histoire mais d’histoires, non comme un documentaire, mais un concert. Il s’agit, au fil des morceaux de l’époque, depuis l’arrivée de Bob Dylan à New York en 1961 jusqu’au concert de Joan Baez en 1972, chantant sous les bombes américaines à Hanoï, de retracer à travers le prisme de la chanson contestataire américaine la révolution musicale et sociale des années soixante.

Vila Real, João Ubaldo Ribeiro (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 04 Octobre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Gallimard

Vila Real, João Ubaldo Ribeiro (1979), Gallimard, 1986, trad. portugais (Brésil) Alice Raillard, 169 pages, 13,15 € Edition: Gallimard

 

João Ubaldo Ribeiro nous ramène une fois encore dans la nudité du Sertão, son âpre brûlure, son étendue poussiéreuse, ses miséreux endémiques. La beauté biblique du style emporte le lecteur dans un récit qui tient de la prière, du thrène, du chœur des pauvres rejetés de terre en terre par la vorace modernité, indifférente au mal, qui ne cherche dans la terre que la matière de sa richesse et de son pouvoir. Ribeiro chante la dignité des pauvres errants, leur fierté et leur courage, car c’est d’une guerre qu’il s’agit, de la guerre des gueux contre les puissants. Une guerre inégale dont l’enjeu n’est pas l’éventuelle et douteuse victoire mais la sauvegarde d’une âme, d’une identité, d’une humanité – celle du Sertão et de ceux qui triment pour en extraire de quoi survivre.

Des gueux rendus furieux par la misère, le vol de leur vie ; des gueux qui ne craignent plus rien parce qu’ils n’ont plus rien.

La Galerie des jeux, Steven Millhauser (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 03 Octobre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Nouvelles, Rivages poche

La Galerie des jeux, Steven Millhauser, Rivages Poche, trad. anglais, Françoise Cartano, 192 pages Edition: Rivages poche

 

Avec ce recueil de nouvelles, l’on pourra volontiers affirmer que l’essentiel se loge dans les détails, à l’image de ce monde miniaturiste (mais en aucun cas minimaliste) créé par le génial August Eschenburg, héros du premier récit – presque un roman court. On ne s’étonnera pas, d’ailleurs, de réaliser que la nouvelle qui clôt l’ouvrage, Cathay, nous ouvre les portes d’un monde qui semble réduit comparativement au nôtre, un monde extraordinairement puissant de détails fantasques et d’illusions multiples, étude éblouissante et précise d’un univers de contes de fées.

C’est donc par un imaginaire ciselé que s’affirme ce livre de Steven Millhauser, mais l’auteur y déploie également un style épuré, simple de prime abord, ouvrant parfois un mouvement de vagues quand il nous donne accès aux pensées du ou de la protagoniste, enchaînant avec l’éveil d’une sensation fugace, revenant ensuite à des faits plus sommaires. La traduction de Françoise Cartano fait sans doute honneur à cette volonté du nouvelliste.