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La Une CED

De plus en plumes (2) - Prises de bec, par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Vendredi, 08 Avril 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles, Ecrits suivis

 

Le docteur Brillet traversa le couloir de son service comme il traversait la vie : encombré d'hommages. Sa panoplie naturelle de baroudeur cheveux-gris-œil-vert-jade induisait chez le personnel féminin un frisson dont il se foutait, conscient de son homosexualité depuis l'âge de 15 ans.
Pour l'heure, il rassemblait son maigre courage pour entrer dans la chambre numéro vingt-quatre.
Il y resta peu de temps car les échanges avec la patiente s'avéraient problématiques : à quatre-vingt-sept ans allégés d'une mémoire intermittente, Elodie Parenty persistait à se souvenir avec acuité qu'elle haïssait le praticien. Aussi à l’heure de la visite désignait-elle la porte d'une royale main en mâchonnant "Je me porte très bien", et ne l'appelait jamais que "la libellule" : non pour ses préférences, par ailleurs insoupçonnées, mais à cause des pans de sa blouse trop grande qui ballotaient sur ses flancs, lui conférant ainsi des airs aquatiques.
Une infirmière résignée suivit de peu l'homme de l'art après un entretien très court ("J'ai  la patate, dégage") et entama la conversation d'une voix machinale. 

A propos de "Le cosaque de la rue Garibaldi" de Claude Gutman

Ecrit par Mélanie Talcott , le Vendredi, 08 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

Le cosaque de la rue Garibaldi, Claude Gutman, Gallimard, février 2016, 224 pages, 16,50 €

 

Un livre simple qui raconte avec tendresse et ironie une histoire comme on en a tous dans nos familles. Ce qui en fait la particularité est sa judéité qu’elle refuse ou cache délibérément par peur qu’elle ne la stigmatise et ne la désigne pour de nouveaux crématoires. Au sein de cette famille, un seul résiste à ce déni collectif orchestré avec l’approbation de tous, un grand-père pouilleux qui s’obstine à ne parler que le yiddish et que son entêtement a rendu imperméable aux autres. Ancien boucher, peut-être a-t-il également été un cosaque, on ne le saura pas, il est l’idiot utile, celui qui fait bouillir la marmite, et le pestiféré de la famille, coupable d’être ce qu’il est comme ce qu’il n’est pas. Ses enfants le méprisent ou l’ignorent, sa femme l’honnit, préfère ses bonnes œuvres, et des années durant a pour amant le président de l’Amicale Israélite. Le quotidien de la famille brinquebale autour d’évènements que nous connaissons tous, mariages, divorces, ruptures, mensonges, problèmes matériels et anecdotes tristes ou drôles. Lorsque meurt enfin le vieil homme, tous n’ont qu’une hâte, celle de se débarrasser au plus vite de tout ce qui serait susceptible de l’évoquer, comme s’il n’avait jamais existé.

Résurgences sataniques (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

 

Le Prince des Ombres n’est pas retiré des affaires. A s’en tenir à ses réapparitions itératives dans la littérature ou le cinéma, il faut bien reconnaître que le vieux Belzébuth exerce encore effets de terreur et de fascination sur l’imagination des hommes. L’Eglise l’avait tenu à bout de bras pour dociliser ses brebis et, si elle a perdu de son influence, la civilisation de l’image l’a amplement remplacée. A icône, icône et demi. On peut penser que ce fonds de commerce du Diable n’a d’autre sens que… le fonds de commerce justement. Mais le Diable a suffisamment fait escorte à l’histoire des hommes, suffisamment assisté à ses crises, insisté sur ses failles et brisures pour que nous nous permettions de balayer ses prestations récentes d’un mépris trop hâtif. Cette résurgence du nocturne démonologique dans notre société des images doit nous interroger : l’ombre qui refait surface à la lumière des discours de la Cité questionne toujours. Surtout dans une époque, la nôtre, où la Cité pare ses langages de toutes les apparences de la rationalité scientifique et organise ses métaphores autour d’une technologie toute-puissante. Cette floraison d’images nous interpelle du lieu même de son grand et régulier succès auprès des publics occidentaux.

Journal d’un dernier francophone imaginaire, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mardi, 05 Avril 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

« Je voulais te parler, cher Astérix, de ta langue et t’expliquer qu’elle a une histoire clandestine que tu ne connais pas, et des enfants nègres, mais je ne peux pas le faire sans parler de moi et de ce que j’ai découvert lorsque tu es parti avant ma naissance, en me laissant une poignée de lettres dans la bouche et un tas de livres et de cimetières. On parle souvent de ta langue chez nous, mais les gens qui la parlent sont de plus en plus rares. Comme les vignobles qui s’agrippent après le départ des Français. Ils meurent, se dispersent, s’en vont. Un de mes amis me dit un jour qu’ils ont sur le visage le générique de fin de film. Le problème et le drame c’est que, comme moi, ils n’y ont même pas joué. On les reconnaît facilement à la façon qu’ont leurs lèvres de rester serrées sur les mots : on dirait des nageurs las, qui gardent leur bouche juste à la ligne de flottaison, au-dessus d’eaux étrangères. Ou à leur manière de promener leurs bulles individuelles comme les autres promènent leurs turbans cachés. On sent le francophone chez nous de très loin et, cette odeur, mon Dieu, que de fois j’ai essayé de la cacher ! Les mots, Cher De Gaulle, ont une odeur je te le jure. Parfois des parfums, mais rarement. Chez nous, on sent le francophone. C’est tout.

Je Tu mon AlterEgoïste (extrait 1), par Murielle Compère-Demarcy

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Lundi, 04 Avril 2016. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

Le téléphone dort de son sommeil de solitude et de silence

Chaque jour entier est une aube qui te rappelle

dans les eaux troubles de l’oubli la fable du soleil

Réseaux infinis de sable et de sel

résonnant dans le clair bruissement des algues

allongées sur la grève

L’absence caresse le vide de sombres errances

Avortées trop d’esquisses s’achèvent

dans le frêle esquif du rêve

Le remugle des nuits remue

sa bauge de fausses promesses