Identification

La rentrée littéraire

Plus jamais ça, Andrés Trapiello

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 17 Octobre 2014. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Quai Voltaire (La Table Ronde)

Plus jamais ça (Ayer no más) traduit de l’espagnol par Catherine Vasseur, septembre 2014, 272 pages, 21 € . Ecrivain(s): Andrés Trapiello Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)

 

Plus jamais ça (Ayer no más), le dernier roman d’Andrès Trapiello traduit en français, fait partie de ces récits qui jouent avec une grande habileté à brouiller les frontières entre fiction, réalité et œuvre en train de se faire, de s’écrire, voire d’être lue. Le narrateur central de ce récit est en effet auteur du livre que nous avons entre les mains, mais il n’est pas l’auteur lui-même, car celui-ci est explicitement mentionné, et critiqué, dans un des chapitres du roman. Mais est-ce bien encore un roman ? L’ironie est poussée jusqu’à la description du livre que vous avez entre les mains, à sa couverture (dans l’édition française, il n’en reste une image, importante, que sur le bandeau promotionnel, qui disparaîtra sans doute rapidement).

De quoi s’agit-il ? De mémoire, d’histoire et de fiction. De vérité, de secret et de mensonge. Encore ! pourrait dire l’auteur lui-même tant ces questions semblent être devenues des « incontournables » dans l’Espagne et la littérature espagnole contemporaine. Comme dans sans doute beaucoup de pays où le souvenir d’une dictature est encore très vif. Trop vif. Pour ne pas dire « à vif », comme on le dit d’une plaie exposée à toutes les germes infectieux.

Le cercle des tempêtes, Judith Brouste

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 16 Octobre 2014. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Le cercle des tempêtes, septembre 2014, 208 pages, 17 € . Ecrivain(s): Judith Brouste Edition: Gallimard

 

« Ainsi c’est Frankenstein qui m’apprit à mourir et à renaître. C’est sa mort, dans les eaux glacées fictives d’une scène, qui m’a fait résister au monde tel qu’il se présentait pour accéder à celui de l’invisible. Dans la peur et la conscience du danger. Je vis que dans l’histoire on avait le droit de se révolter pourvu qu’on joue sa vie ».

Naissance du roman : une ville, un corps, une tempête théâtrale dont les éclats scintillent de page en page, mais aussi, un poète en disgrâce et en Acte permanent, des amours gagnés et perdus, des passions, et une certitude chevillée à la peau : la littérature sauve des tumeurs du monde. De Bordeaux à Londres en passant par Naples et Rome, la vie incandescente du Cercle des tempêtes embrase les corps et les idées, celles de Shelley, Fanny, Harriet, Mary, Byron, guerre sociale permanente dans l’Europe du début du 19° siècle. Frankenstein, Prométhée délivrée, Les Cenci, ils sont là sous nos yeux ces livres de tous les dangers qui flamboient sous la main romanesque de Judith Brouste, qui sait qu’être attentif aux révoltes qui se lèvent revient à être soucieux de la manière dont tout cela se vit et s’écrit.

Orpheline, Marc Pautrel

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 13 Octobre 2014. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, Roman, Gallimard

Orpheline, octobre 2014, 96 pages, 12 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard

Dans le précédent roman de Marc Pautrel, Polaire (Gallimard, collection L’Infini, 2012), il y avait un bref instant par quoi la joie s’imposait, par quoi le narrateur tutoyait, dans son corps entier, des pleurs de joie, une joie pascalienne et enfantine tout à la fois :

« Je continue de croire qu’un jour quelque chose va arriver entre elle et moi. Je sais que c’est écrit. Tous les fleuves coulent vers la mer. Simplement, je ne sais pas quand la chose se passera, peut-être dans un mois, peut-être dans dix ans. Les existences sont animées par des moteurs aux soubresauts étranges et aux développements non prédictibles. Un dimanche d’octobre, vers midi trente, elle m’appelle enfin, elle vient de monter dans le tramway à la gare, elle arrive de Dordogne, elle est descendue du train cinq minutes avant, elle voudrait qu’on se voie. Je suis en train de manger, je lui propose de la rejoindre dans l’après-midi. Elle voudrait plus tôt, elle voudrait maintenant, je lui dis : D’accord, le temps d’arriver. Elle répond : Je t’attends. Je saute de joie, au sens propre, comme chaque fois que je sais que je vais la voir de nouveau : tout seul dans mon salon je fais de petits sauts verticaux, à la façon des Massaï du Kenya, trampoline sur un sol devenu soudain élastique, le corps bien droit, comme une succession d’ascensions fulgurantes et de plus en plus élevées, je saute, je bondis, je chantonne, je ris tout seul. Je suis plus heureux que si je venais de ressusciter d’entre les morts. Mais cette fois-ci, ma joie est encore plus forte que d’habitude, je sais que l’instant que je vis est un instant sacré ».

Péguy en la Pléiade - Œuvres poétiques et dramatiques, Charles Péguy

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 09 Octobre 2014. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, Poésie, Théâtre, La Pléiade Gallimard

. Ecrivain(s): Charles Péguy Edition: La Pléiade Gallimard

 

Œuvres poétiques et dramatiques, Charles Péguy, nouvelle édition sous la direction de Claire Daudin, avec la collaboration de Pauline Bruley, Jérôme Roger et Romain Vaissermann, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, n°60, 18 septembre 2014, 1888 pages

 

« La postérité retient parfois de Péguy l’efficacité du polémiste, le prophétisme du philosophe de l’Histoire, le moraliste aigu, l’anarchiste irréductible ou le socialiste humaniste et, d’une manière peu discutée, le patriote martyr. Mais le poète, le connaît-on vraiment ? », s’interrogent les éditeurs.

L’on aurait envie d’ajouter ici : peut-on seulement le connaître ? En effet, Péguy se tient tout entier reclus (reclus pour être découvert) dans ses contrastes, dans la façon qu’il a de prendre la fuite face à la saisie que l’on pourrait opérer – saisie sans cesse recommencée – et du sens et de la musique que ses longues pièces jettent à la vue et à l’oreille. En effet, ses « Dialogues ne sont pas des dialogues, ses Notes n’ont rien de superfétatoire, ses Mystères gardent leur mystère, ses Ballades nous égarent, et nul ne sait vraiment ce que sont ses Tapisseries… »

Le Quartier chinois, OH Jung-hi

Ecrit par Stéphane Bret , le Jeudi, 09 Octobre 2014. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Nouvelles, Serge Safran éditeur

Le Quartier chinois, traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Batilliot, septembre 2014, 216 p. 17,50 € . Ecrivain(s): OH Jung-hi Edition: Serge Safran éditeur

 

OH Jung-hi nous décrit une Corée peu familière : celle de l’après-guerre, un pays encore en proie à un conflit, celui entre le nord et le sud, l’un des épisodes marquants de la Guerre froide. Le texte se compose de trois nouvelles distinctes en apparence, mais s’attachant à décrire la difficulté de grandir et de vivre.

Dans la première nouvelle intitulée Le Quartier chinois, une fillette de neuf ans quitte la campagne pour une ville portuaire. Le nom de quartier chinois est assimilé à un repère géographique : il est près du port. C’est aussi un lieu de perdition, de débauche. Evoquant la présence de Chinois, la petite fille les décrit ainsi :

« Pour nous, ils étaient contrebandiers opiomanes, coolies cachant de l’or sous chaque point des coutures de leurs guenilles, brigands martelant la terre gelée au galop de leurs chevaux barbares (…) Ce qui se trouvait derrière les portes fermées (…) était-ce de l’or ? de l’opium ? ou de la méfiance ? ».