Le roi disait que j’étais diable, Clara Dupont-Monod
Le roi disait que j’étais diable, août 2014, 240 pages, 17,90 €
Ecrivain(s): Clara Dupont-Monod Edition: Grasset
Aliénor mon cœur t’adore
Clara Dupond-Monod a choisi un bel octosyllabe, Le roi disait que j’étais diable, comme titre de son dernier roman. Elle montre une nouvelle fois sa prédilection pour le Moyen-âge.
En effet, cette diablesse, c’est Aliénor d’Aquitaine, une femme de caractère qui fut reine de France au XIIe siècle (puis devint reine d’Angleterre par son second mariage).
Aliénor possède quelques points communs avec dame Dupont-Monod, par exemple une fascination partagée pour l’histoire de Tristan et Yseult. N’est-ce pas Clara Dupont-Monod qui, voici quelques années, avait utilisé sa belle plume pour raconter l’histoire de Tristan et Yseut vue par le roi Marc (1) ? C’était déjà une fameuse idée !
Aliénor ne s’en laisse guère conter : « Mon prénom est un monde et personne n’y laisse son empreinte. Ni Dieu, ni roi ».
Elle épouse le futur Louis VII (dit le Jeune), aussi prédestiné à la royauté que Jean-François Copé à l’honnêteté. Mais son frère aîné, auquel le trône de France était promis, est mort, un cochon s’étant jeté sous les pattes de son cheval. « N’est-ce pas un magnifique résumé du royaume de France ? Ce sont les porcs qui décident de son destin », commente la future reine de son acide plume dupont-monesque.
Aliénor laisse parfois la parole à Louis VII : le bougre est tombé raide dingue d’elle la première fois qu’il l’a vue : « j’offrirais mon royaume pour pouvoir te prendre dans mes bras ». Mais leurs étreintes resteront furtives. Que c’est beau l’amour quand l’objet aimé reste inaccessible !
Car Aliénor, femme libre, cultivée, mécréante et spirituelle est mal assortie à Louis, benêt mal dégrossi qui voulait devenir moine. Mais Louis n’est pas idiot et se rend compte qu’elle lui préfère les troubadours : « Les poètes sont des enfants gâtés. Eux, ils ont la chance de pouvoir observer le visage de l’être aimé. Moi, je me contente du dos ».
Dans ce couple improbable c’est bien Aliénor qui tient la barre. Louis exile sa mère, Adélaïde, belle-doche qu’Aliénor n’apprécie guère. Mais, dans l’ombre, l’intolérance rôde et l’église la plus crétine, personnalisée par l’abbé Suger, un ayatollah en soutane, lui tend des chausse-trappes : on interdit les jeux, on renvoie les troubadours, on tond une femme adultère.
Aliénor est sans illusion sur son époux : « tu crois que la passion primordiale de l’homme c’est l’amour. Tu te trompes. C’est le combat ».
Mais a-t-elle raison cette reine sans scrupules ? La passion de Louis, c’est sa femme et quand il se bat à la tête de ses armées, c’est juste pour lui faire plaisir. Le roi est faible et, comme tous ceux qui aiment trop, il veut montrer l’étendue de son amour. « Enfant de la colère et de la haine, Aliénor, tu n’es que ça, une enfant ».
Aliénor manipule son époux et Louis se livre à d’odieux massacres parce que sa femme a des comptes à régler. Il n’est pas dupe et mesure l’étendue de sa faiblesse : « un seul de tes mots et je redeviens ton valet », on dirait un homme politique attendant sa femme au Fouquet’s.
« Mon amour pour toi fait mon désespoir (…). Ta prestance, ton talent, tes erreurs, ta cruauté et tes yeux, ta bouche, ta taille, tout m’attire et me fait peur car j’ai vu où cela me menait ». En enfer ! Il en va ainsi quand on a épousé un succube.
Aliénor finit par donner naissance à une fille et Louis constate, lucide : « quand j’y pense, je t’ai vue petite jeune fille et maintenant, tu es mère. A quel moment as-tu été ma femme ? » La réponse est facile à deviner…
Alors Louis, qui a brûlé Vitry par amour, est pris de remords et veut se laver de ses péchés. Il décide de lever une armée pour participer à la deuxième croisade. Ce sera un massacre épouvantable : il est aussi habile au combat que pour conquérir le cœur d’Aliénor.
L’armée du roi arrive à Antioche où Aliénor retrouve son oncle, Raymond de Poitiers, qui ne la laisse pas indifférente. Aliénor rend les armes (comme Nestor jadis (2)) et pose la plume. C’est Raymond, seigneur d’Antioche, qui mène le récit à son terme. « Au milieu d’eux se tenait Aliénor d’Aquitaine. Ma nièce. La fille la plus jolie et la moins docile de France. Elle était avec son mari, le roi, l’homme le plus dangereux d’Europe ».
Chrétien en terre musulmane, Raymond a su se concilier les faveurs des autochtones qui se réunissent dans les églises pour prier La Mecque. Heureux temps…
La deuxième croisade est un fiasco ; Aliénor et Louis VII finissent par rentrer dans la douce France mais leur union ne survivra pas à ce désastre. « Il était en train de comprendre qu’il n’aurait jamais Aliénor. Que ce rêve avait été englouti avec la croisade ratée. Qu’il était mort à Antioche ou sous les murailles de Damas ». Car Damas est, pour Louis, aussi imprenable qu’Aliénor.
La fin est superbe mais c’est une autre histoire. Aliénor a 30 ans quand elle rencontre Henri Plantagenêt. Elle vivra octogénaire.
« Elle entrevit en un éclair l’immense potentiel du jeune homme ». Elle lui donnera son cœur et son corps. « Louis jeta un œil vers Aliénor. Il comprit tout. (…) Aliénor chantonna toute la soirée ». Entendant la voix d’Aliénor saisissante de beauté, « Louis, à cet instant, sut que la vraie forteresse c’était elle ».
Aliénor chantonne et Clara est lyrique ! Heureux les écrivains qui ne craignent pas de se montrer lyriques ! A bas la littérature tiédasse !
Depuis son premier roman, Eova Luciole (3), Clara Dupond-Monod cultive un style à la fois riche et épuré et déploie une belle écriture, précise et harmonieuse et qui, parfois, coule comme une source. Elle ne cède jamais à la mode ni à la facilité et, si l’histoire qu’elle raconte se déroule au 12è siècle, elle est furieusement contemporaine.
Aliénor était peut-être une sorcière mais Clara Dupond-Monod est un grand écrivain. Elle le démontre une nouvelle fois avec éclat.
Fabrice del Dingo
(1) Clara Dupont-Monod : La folie du roi Marc, Grasset, 2000
(2) Clara Dupont-Monod : Nestor rend les armes, Sabine Wespieser 2011
(3) Grasset, 1998
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