Si célèbre soit-il, le ghetto de Varsovie ne se visite pas, contrairement à d’autres, comme ceux de Venise ou de Prague. Avec le sérieux méthodique qui caractérise ce peuple, les Allemands l’ont entièrement détruit après l’insurrection d’avril 1943. Lorsque la capitale polonaise fut reconstruite après-guerre, on ne se soucia pas de l’ancien ghetto et seul un œil aiguisé peut en apercevoir le fantôme. En vérité, la mémoire du ghetto n’est pas inscrite dans la topographie de Varsovie. Elle se trouve à l’Institut historique juif de la ville, où sont conservés les documents patiemment réunis par l’historien du ghetto, Emanuel Ringelblum (1900-1944), puis enterrés dans des caisses de fer-blanc et de grands bidons de lait, et ainsi soustraits aux flots du temps. Ces quelque 35.000 pages reposaient dans leurs abris souterrains, tandis qu’à la surface les troupes du général SS Jürgen Stroop anéantissaient le ghetto et ceux qui y vivaient. Elles s’y trouvaient toujours lorsque, deux ans plus tard, Hitler, enfermé dans son bunker, mit fin à une existence trop longue. En 1946 et 1950, on découvrit ces deux ensembles de documents (un troisième demeure introuvable), dans un piteux état : les caisses en fer, qui n’étaient pas étanches, avaient été envahies par l’eau.