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Histoire

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, Georges Didi-Huberman (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans Histoire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les éditions de Minuit

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, février 2020, 176 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de Minuit

L’image et la « pansée »

Afin de se soustraire à l’ambiguïté qui régit tout protocole de représentation qu’il soit iconique ou linguistique, Didi-Huberman, après avoir travaillé sur les seules photos existantes et les documents sur les fours crématoires (et la polémique que son livre suscita), trouve ici une autre tentative pour parvenir à dire, toucher et atteindre le cœur et la raison – l’inconscient aussi – par le « témoignage » des documents qu’il présente ici.

Didi-Huberman propose le « simple récit-photo » d’un voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie. Il apporte sur le corpus d’images inédites, réunies clandestinement par Emanuel Ringelblum et ses camarades du groupe Oyneg Shabes entre 1939 et 1943, un premier regard et une première analyse.

L’auteur revient sur un point majeur et qu’il a déjà soulevé : « une simple image n’est jamais simple ». D’autant que celles-ci restent inséparables d’une archive de trente-cinq mille pages de récits, de statistiques, de témoignages, de poèmes, de chansons populaires, de devoirs d’enfants dans les écoles clandestines, de lettres jetées depuis les wagons à bestiaux en route vers les camps.

Le Monde selon Napoléon, Jean Tulard (par Vincent Robin)

Ecrit par Vincent Robin , le Vendredi, 27 Mars 2020. , dans Histoire, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Le Monde selon Napoléon, Jean Tulard, Tallandier, coll. Texto, octobre 2019, 320 pages, 10 €

 

Qu’est-ce qui fonde les convictions des hommes d’Etat et, sous leurs effets, leur suggère une particulière façon d’agir ? S’agissant des hommes de pouvoir réputés au sein de l’Histoire universelle, probablement cette question préliminaire ne trouve-t-elle généralement de réponse satisfaisante qu’à l’aide d’un examen ordonné et resserré des choix politiques comparés ensuite aux agissements conduits dans leur logique. A travers son « Monde selon Napoléon » et grâce à un développement soumis aux aléas thématiques du repère alphabétique, le spécialiste et avisé historien Jean Tulard nous invite, de manière incontestablement originale, à nous instruire de la complexe mais singulière mouture humaine qui éleva le célèbre Bonaparte à la considération historique. Son monde : un monde ouvert à tout, auquel, selon ce peigne fin de la rubrique alphabétique, point d’illustration ne semblera faire lacune. Serait-on agacé tout au départ des sauts du coq à l’âne imposés par la lecture de cette sorte d’énumération thématique et rapportée sans liaison significative à une seule et même figure emblématique qu’au fil de cette dispersion devra-t-on admettre cependant que se dégage au final bel et bien la fibre unique, curieuse et synthétique du très ambitieux Corse devenu l’empereur original d’une République.

Les Deux Corps du roi, Ernst Kantorowicz (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mercredi, 11 Mars 2020. , dans Histoire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Les Deux Corps du roi, Ernst Kantorowicz, janvier 2020, trad. Jean-Philippe et Nicole Genet, 898 pages, 9 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Ernst Kantorowicz nous livre, dans cet ouvrage dense et érudit, une brillante analyse sur l’évolution de la fonction royale, à la croisée des sciences politiques et théologique. Sa recherche est née des Rapports de Plowden, écrits et rassemblés au XVIe siècle, sous le règne de la reine Elisabeth I : « Car le Roi a en lui deux Corps, c’est-à-dire un Corps naturel et un Corps politique. Son Corps naturel, considéré en lui-même, est un Corps mortel, sujet à toutes les infirmités qui surviennent par Nature ou Accident […] Mais son Corps politique est un corps qui ne peut être vu ni touché, consistant en une société politique et en un gouvernement […] et ce Corps est entièrement dépourvu d’Enfance, de Vieillesse, et de tous autres faiblesses et défauts naturels […] ».

On note ainsi un passage du réalisme au nominalisme : la matière se transfère au nom, au symbole. Selon Kantorowicz, La Tragédie du roi Richard II de William Shakespeare est la tragédie qui représente le mieux les Deux Corps du Roi : on y observe une alternance du corps légal du roi et de son corps naturel, faible et blessé.

Jaune, Histoire d'une couleur, Michel Pastoureau (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Jeudi, 23 Janvier 2020. , dans Histoire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Arts, Seuil

Jaune, Histoire d'une couleur, octobre 2019, 238 pages, 39 € . Ecrivain(s): Michel Pastoureau Edition: Seuil

Quel courage a eu Michel Pastoureau en s’attachant à réaliser un livre entier sur la couleur jaune, qui ne recueille l’ensemble des suffrages ni dans l’histoire ni autour du monde. Pourtant, la couleur jaune avait ses lettres de noblesse dans l’Antiquité : les Grecs, les Romains, les Celtes et les Germains lui accordaient une haute importance symbolique et religieuse, en l’associant à la lumière, à l’or et à l’immortalité. C’est le Moyen Âge qui témoigne de son déclin, ou plutôt de son ambivalence. Michel Pastoureau étudie la lente décroissance de la valeur accordée à la couleur jaune au fil du temps, mais aussi ses rapports avec les autres couleurs auxquelles elle est liée (l’ocre, le vert, l’orangé, le gris et le rose) et les objets qu’elle représente symboliquement.

Depuis les pigments ocres du Paléolithique supérieur et le métal jaune (l’or) du Néolithique et de la Rome antique (monnaie, objets précieux retrouvés dans les tombes…), la préhistoire, l’Antiquité et la mythologie accordent à la couleur jaune un effet bénéfique : la Toison d’or de Jason, les richesses du roi Midas, les pommes d’or du jardin des Hespérides lui sont associées. Les cultes solaires (Rê, Hélios, Artémis, Apollon) magnifient le jaune et lui rendent hommage, ainsi que, plus prosaïquement, le safran, épice rare employée en cuisine, mais aussi en médecine, en parfumerie et en teinture. L’étoffe jaune est la parure d’Artémis et des femmes.

L’Affaire Du Collier, Evelyne Lever (par Vincent Robin)

Ecrit par Vincent Robin , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans Histoire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fayard

L’Affaire Du Collier, Evelyne Lever, Arthème Fayard Pluriel, 2004, 510 pages, 10 € Edition: Fayard

 

En évoquant intrigues et événements de cour dans la monarchie française finissante, ce récit procède à la reconstitution d’un puzzle historico-judiciaire dont, en dépit du recul éclairant fourni par des archives savamment conservées, l’assemblage n’aura jamais été finalisé. Au XVIIIe siècle, ainsi juste avant que n’éclate la Révolution française de 1789, explosait cette sulfureuse affaire dite « du collier ». L’évènement éclabousserait bientôt de façon retentissante ni plus ni moins que la tête de l’Etat avec l’implication de la reine Marie-Antoinette. Sur ce tableau marqué de prodigalités insensées, de mœurs aristocratiques oisives et dispendieuses, de justice absolutiste, serait également épinglée de façon cinglante et vengeresse l’image rocambolesque du grand aumônier de France, le cardinal de Rohan. D’autres rouages incarnés par de loufoques intrigants ou satellites de cour de piètre reconnaissance viendraient en outre articuler cette sorte de machination révélant la part belle faite à la cupidité et à la révérence malicieuse. Scandale soudain, où ce qui aurait probablement dû rester sous le boisseau s’exposa subitement au grand jour. Voyant la rejoindre de derniers prévenus couverts d’étiquettes et de disgrâce, la célèbre Bastille verrait en même temps l’investir ses tout derniers pans de lumière blafards et brisés.