Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, Georges Didi-Huberman (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, février 2020, 176 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de MinuitL’image et la « pansée »
Afin de se soustraire à l’ambiguïté qui régit tout protocole de représentation qu’il soit iconique ou linguistique, Didi-Huberman, après avoir travaillé sur les seules photos existantes et les documents sur les fours crématoires (et la polémique que son livre suscita), trouve ici une autre tentative pour parvenir à dire, toucher et atteindre le cœur et la raison – l’inconscient aussi – par le « témoignage » des documents qu’il présente ici.
Didi-Huberman propose le « simple récit-photo » d’un voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie. Il apporte sur le corpus d’images inédites, réunies clandestinement par Emanuel Ringelblum et ses camarades du groupe Oyneg Shabes entre 1939 et 1943, un premier regard et une première analyse.
L’auteur revient sur un point majeur et qu’il a déjà soulevé : « une simple image n’est jamais simple ». D’autant que celles-ci restent inséparables d’une archive de trente-cinq mille pages de récits, de statistiques, de témoignages, de poèmes, de chansons populaires, de devoirs d’enfants dans les écoles clandestines, de lettres jetées depuis les wagons à bestiaux en route vers les camps.
Une nouvelle dois l’auteur s’affronte au désastre. Mais aussi à la survie et dit-il « d’une forme très particulière de l’espérance, dans un enclos où chacun était dos au mur et d’où très peu échappèrent à la mort ». Ces images de peu sont des images du tout et de l’innommable. Jusque-là, elles étaient restées muettes et l’auteur interroge comment elles assurent et assument une écriture de l’histoire encore ouverte. Elles prouvent qu’elles ne consolent pas mais deviennent l’inexorable nécessité face aux faux-semblants et aux révisionnismes toujours latents.
Certes en ce corpus rien n’est résolu de nos interrogations – au contraire : mais c’est peut-être là leur force de nous mettre dans l’haleine des condamnés innocents. Et à leur sujet on peut se rappeler ce que Didi-Huberman a écrit dans Génie du non-lieu : « L’image mieux que tout autre chose manifeste probablement cet état de survivance qui n’appartient ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait mais à ce genre d’état aussi paradoxal que celui des spectres qui sans relâche mettent du dedans notre mémoire en mouvement ». C’est pourquoi il ne faut pas la refuser. L’image permet de penser. Peut-être même, comme l’écrit Bernard Stiegler, elle sert de « pansée » dans la mesure où elle n’est pas spéculation mais processus.
Jean-Paul Gavard-Perret
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