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Critiques

Ça va aller, tu vas voir, Christos Ikonòmou

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 29 Février 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Nouvelles, Quidam Editeur

Ça va aller, tu vas voir, mars 2016, trad. grec Michel Volkovitch, 218 pages, 20 € . Ecrivain(s): Christos Ikonòmou Edition: Quidam Editeur

 

Ces histoires si sombres devraient susciter en nous un cafard profond. On découvre peu à peu pourtant que leur nuit est sourdement éclairée, écrit Michel Volkovitch, leur traducteur, dans sa postface. Et bien, tout dépend de la distance que le lecteur saura mettre entre ces seize histoires, peut-être une seule, et sa propre vie, car elles sont tellement réalistes, tellement sans fard, de si crues banalités, que la seule flamme finalement ne serait-elle pas la flamme littéraire, qui peut permettre à l’auteur d’éclairer son sujet sans sombrer lui-même ? Car ces histoires peuvent – devraient – plomber le lecteur, qui au fur et à mesure qu’il avance, s’alourdit du poids de ces existences qui n’ont plus d’horizon.

Toutes ont pour point commun le Pirée et ses quartiers populaires, une île aussi en face du port, et une maison qu’un couple doit quitter, exproprié par l’inexorable avancée d’une nouvelle route. Rouleau compresseur, c’est de ça dont il est question, de personnages qui tentent désespérément d’échapper au rouleau compresseur, au concasseur de vies, concasseur de sens… La crise, mot fourre-tout, mot d’excuse pour dire système corrompu, système mortifère, système ultra libéral, ultra violence.

Celle que vous croyez, Camille Laurens

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 20 Février 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Celle que vous croyez, janvier 2016, 194 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard

 

Camille Laurens est une virtuose du désir, de l’amour, de la langue et du sexe. C’est ce qui ressort de la lecture de son nouveau roman paru, Celle que vous croyez, une écriture à quatre voix, celles de deux femmes et de deux hommes, aux identités assez claires pour les hommes et assez troubles pour les femmes : Claire Millecam/Claire Antunes, Marc, le psychiatre de Claire Millecam, Camille l’écrivain/Claire Antunes, Paul Millecam, mari de Claire. Je ne suis pas « celle que vous croyez ».

La thématique du livre est un prétexte : une ou deux femmes, intelligentes, cultivées, professeur de littérature à l’université, pour l’une, ou écrivain, pour l’autre, sont confrontées au mépris, à l’humiliation, à l’abandon par un amant de plus de dix ou vingt ans plus jeune qu’elles, rencontré sur les réseaux sociaux. Au psychiatre qui la suit à La Forche, l’institution où elle est soignée depuis deux ou trois ans, la première raconte sa descente aux enfers et les tourments de la jalousie qu’elle a endurés, la seconde écrit à son éditeur, Louis O., lui décrivant ce qu’on ressent quand on joue deux personnages féminins à la fois complices et rivaux en amour, et lui narrant l’épisode de la rupture, lors d’un séjour raté en Bretagne.

Une proie trop facile, Yishaï Sarid

Ecrit par Martine L. Petauton , le Samedi, 20 Février 2016. , dans Critiques, Les Livres, Polars, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Roman, Actes Noirs (Actes Sud)

Une proie trop facile, novembre 2015, trad. hébreu Laurence Sendrowicz, 341 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Yishaï Sarid Edition: Actes Noirs (Actes Sud)

 

Qui a beaucoup aimé Le poète de Gaza – si beau livre du même auteur – risque de se précipiter sur cet autre roman que présente Actes Sud en Actes noirs. Sujet différent, quoique… le même Moyen-Orient, secoué, malade, ou peut-être simplement grandissant dans la douleur, ouvrant à tous vents sur la table d’examen ses boyaux – c’est le mot, ses spasmes, quelques satisfactions diverses tricotées en petite joie pour la route à venir. Tout ça sans éclats tonitruants, comme sous verre : le jour après jour, au gré de quelques éclairs de moments historiques, par-ci, par-là ; l’actu de tout un chacun sur ces terres qu’on a dites, un jour, « promises » et que l’humour de l’auteur traduirait illico par un « on a vu, on verra ».

Dans ce livre, là, c’est sur le trottoir israélien qu’on marche, de Tel Aviv à la haute Galilée, un pas même au Liban en guerre. Et cette plongée, on ne la trouve pas partout dans la littérature israélienne d’aujourd’hui. Car ce voyage est mieux que passionnant, prenant ; on lit d’une traite.

Dolmancé, Thibault Biscarrat

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 20 Février 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Dolmancé, éd. Abordo, octobre 2015, 148 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Thibault Biscarrat 

 

« Ma vie ne fut qu’éclat, abîme, au cœur de la toile, derrière ces longues draperies qui séparent notre regard de ce dernier royaume. Ma vie n’est qu’une prière pour un Dieu absent ou non révélé ».

Dolmancé est un livre minuscule, une arme légère prête à servir, une grenade littéraire qui ne demande qu’à être dégoupillée, nourri du sang littéraire de Sade et Lautréamont. Les deux écrivains du risque absolu hantent les hauteurs de ce roman. Dolmancé est une aventure littéraire des sommets, des aiguilles arides, des précipices, du déséquilibre, de l’essoufflement où le lecteur se risque à chaque page. Dolmancé, au talent de diamant brut, semble la proie d’une frénésie, d’un mystère, est insaisissable, ils sont légion à en témoigner et le livre en porte les traces acérées : ses femmes, la Consolatrice, le journal intime d’Emeline, et le carnet de Dolmancé, cette colonne vertébrale du roman aux éclats tranchants comme des poignards.

« J’assigne au lieu des vocables, des phonèmes, j’assigne au temps une nouvelle grammaire. Mon présent est un futur à l’abandon : organique pensée de la matière, humus, corps, viscères que j’offre aux saisons ».

Jeunes loups, Colin Barrett

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Vendredi, 19 Février 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Rivages

Jeunes loups, février 2016, trad. anglais (Irlande) Bernard Cohen, 264 pages, 21 € . Ecrivain(s): Colin Barrett Edition: Rivages

 

Recueil de sept nouvelles, Jeunes loups (Young skins, selon le titre original) colle aux basques de jeunes irlandais qui traînent leur mal de vivre dans une petite ville imaginaire de la verte Érin.

Le parti pris de Colin Barrett est clair et net : des tranches de vie brutes de décoffrage, quelques rares repères dans l’histoire de ces antihéros, pas de chute inattendue. On les suit une nuit, quelques jours, rarement plus.

Des hommes, jeunes, chômeurs ou employés à de petits boulots, tous ou presque accros à l’alcool, aux filles, parfois à la drogue qu’ils consomment ou vendent, aux médicaments pour soulager leurs souffrances physiques ou stabiliser leurs sautes d’humeur, leurs maux de tête d’après biture.

Des hommes qui subissent avec un désarmant naturel le cours des événements, qui ne songent guère à se révolter, quitter leur bled aux multiples pubs, tant ils semblent formatés tout autant génétiquement que culturellement à une existence dénuée de sens. Résignés, en dépit d’une colère accumulée et que l’on sent toujours prête à exploser, mais qui se dilue dans une acceptation fataliste ou qui, lorsqu’elle explose, le fait de manière parfaitement aberrante et pulsionnelle.