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Critiques

La Jeune Epouse, Alessandro Baricco

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 07 Mai 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard, Italie

La Jeune Epouse, avril 2016, trad. italien Vincent Raynaud, 226 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Alessandro Baricco Edition: Gallimard

Le roman baroque d’Alessandro Baricco renoue avec la veine des légendes et des voyages rédempteurs d’Océan mer et de Soie, après l’expérience plus réaliste d’Emmaüs. Très vite on verse dans le domaine du conte ou du réalisme magique : les règles précises qui forment comme un protocole familial évoquent, ça et là dans le roman, un peu comme dans Alice au pays des merveilles, un mélange de l’atmosphère de la réception chez le Chapelier et de celle du royaume de la Reine de cœur. Toutefois, encore plus que le conte anglais ou les romans fleuves latino-américains, c’est le Japon et ses rituels et cérémoniaux qui est convoqué dans l’imaginaire du récit.

Des personnages prototypiques viennent nourrir cette comédie humaine comme sur un échiquier des destinées : le Père, la Mère, le Fils, la Fille, la Jeune Epouse, l’Oncle, etc., mais aussi Modesto le domestique et Baretti le chroniqueur liturgique de la Famille, une Famille où l’on a peur de la nuit, où l’on se doit d’être gai, où il est soi-disant interdit de lire des livres et où le Père « porte dans son cœur une inexactitude », une Famille dont tous les membres meurent la nuit et dont la Fille, pour échapper à cette malédiction, a mis en place un expédient nocturne bien particulier. Le langage un peu désuet, suranné qui agrémente les dialogues familiaux vient souligner cette régularité des échanges :

Le corps de ma mère, Fawzia Zouari

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Vendredi, 06 Mai 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Maghreb, Récits, Joelle Losfeld

Le corps de ma mère, mars 2016, 232 pages, 20 € . Ecrivain(s): Fawzia Zouari Edition: Joelle Losfeld

 

Au mois de janvier 2011, alors que la Révolution de Jasmin, ou Révolution de la Dignité, vient d’éclater en Tunisie, Fawzia Zouari revêt la mélia (costume traditionnel) de sa mère, et à son mari qui lui dit en parlant de cette dernière : « Il te faut donc une révolution pour te sentir autorisée à écrire sur elle », elle s’entend répondre : « Maintenant, je comprends. Ce sont les mots qu’elle m’a laissés en héritage, à son corps défendant ».

Nous revenons alors au printemps 2007, où sa mère se meurt dans un hôpital de Tunis. Nue, parce que dans la tradition berbère une femme est nue lorsque ses cheveux sont découverts, aveugle, elle est entourée de sa famille au sens le plus large du terme, jusqu’aux bédouins du Nord et du Sud qui sont venus lui dire un dernier adieu et se perdent dans les couloirs de l’hôpital. Mais parmi tous ces gens, il n’y a personne pour lui « raconter » sa mère. Encore moins les hommes à propos desquels sa mère disait : « Á défaut d’hériter de nos secrets, les hommes héritent de notre mort, puisqu’il leur revient de marcher seuls derrière notre cercueil ».

Le Voyage de Shakespeare, Léon Daudet

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 06 Mai 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Grasset

Le Voyage de Shakespeare, mars 2016, 360 pages, 0 € . Ecrivain(s): Léon Daudet Edition: Grasset

 

Et maintenant, aux querelles ! comme disait Céline. Oui, Léon Daudet (1867-1942) est un infâme antisémite, antidreyfusard de la première heure ; oui aussi, il fut un polémiste rabique pour L’Action Française ; oui encore, il fut admiratif du fascisme italien – mais consterné par la victoire allemande de 1940, lui le patriote antigermanique. Oui à tout cela, et donc oui à une réputation sulfureuse qui pourrait donner envie à certains de le vouer aux gémonies littéraires et à d’autres de le lire pour goûter un bien pauvre vertige. A ceci près que ce serait négliger un véritable talent littéraire, certes plus souvent qu’à son tour mis au service de causes déplorables, mais bel et bien existant – ce n’est pas pour rien que Marcel Proust lui dédie Le Côté de Guermantes.

La preuve avec Le Voyage de Shakespeare (1896), roman éblouissant que réédite en douce Grasset, qui en offre le fac-similé de sa première édition, chez Charpentier et Fasquelle, à l’achat de deux « Cahiers Rouges ». Cette réédition est la bienvenue pour les curieux littéraires, puisque ce roman n’existe plus qu’en bouquinerie, au mieux dans la collection Folio – mais caviardé. Pourquoi ce caviardage ? Parce qu’en plein milieu du récit, Shakespeare pénètre dans le ghetto juif d’Amsterdam et que Daudet se déchaîne sur quelques pages répugnantes dont voici un bref extrait pour faire comprendre :

Le Grand Marin, Catherine Poulain

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 06 Mai 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, L'Olivier (Seuil), Voyages

Le Grand Marin, février 2016, 372 pages, 19 € . Ecrivain(s): Catherine Poulain Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Serrer le corps du grand marin, c’est entrer de plein fouet dans les entrailles du livre, adapter son langage et ses odeurs, sombrer avec lui, le soir, la nuit, glisser sur le port et repeindre la ville en rouge. Ivre et hagard au matin, l’alcool dans le sang, à terre, les grands marins tanguent. Ils n’ont pas le pied, ils n’ont plus le sens. Ils flottent et se décharnent. Lili, elle, elle veut être avec eux, s’écorcher la face, elle veut du ressac, elle veut du vent, le sel pour ronger son visage, la mer pour réparer son corps. Elle veut un bateau. Etre adoptée. Pénétrer la chair d’un bateau pour l’habiter tout entier, au bout du monde, voire y disparaître.

Lire ce livre, c’est se tenir avec son propre corps au bastingage comme aux comptoirs des bars, vivre les gueulantes des hommes et des vagues, là sur le pont à ne pas savoir comment s’y prendre. Etre un Homme et s’y tenir. Porter, tendre, attendre son tour par terre et ne plus savoir dormir que par chapitres.

Votre regard, Cédric Bonfils

Ecrit par Marie du Crest , le Jeudi, 05 Mai 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

Votre regard, février 2016, 34 pages, 10 € . Ecrivain(s): Cédric Bonfils Edition: Espaces 34

 

« Les isolés »

J’emprunte à l’auteur de l’épigraphe inaugurale du texte de Cédric Bonfils, l’idée que « nous sommes tous des isolés » mais cet isolement peut être brisé. Elle me sert de titre car c’est sans doute de cela dont il est question dans ce court monologue ou plutôt dans cette adresse à l’autre, qui cherche la réponse toujours de celle qui jamais ne fera entendre sa voix. Le locuteur est un homme, qui peu à peu se dévoilera, comme la nuit va vers l’aube et une femme sans nom qui dort sur un canapé dans son appartement, un inquiétant couteau dans la main. Son enfant dort dans la pièce d’à côté. Il veille sur elle ; il la protège de la violence du monde, de celle d’un homme, de celle de ses cris de ses hurlements. Au début du texte, il lui répète : Ça va aller (p.9 puis 15)

Il est aussi comme « une veilleuse », une lumière jetée sur leurs deux vies. Il ne cesse de l’interroger avec sollicitude sur son état (les phrases interrogatives sont très nombreuses). Quant à lui, il va par bribes découvrir ce qu’est son existence. Sa parole se constitue de blocs suivis d’espaces, d’élans à nouveau pris vers cet échange nocturne dont la matière est silence et parole. Il s’agit d’une rencontre soliloque et pourtant décisive, paradoxalement évidente. Ne dit-il pas, p.16 :