Le Grand Marin, Catherine Poulain
Le Grand Marin, février 2016, 372 pages, 19 €
Ecrivain(s): Catherine Poulain Edition: L'Olivier (Seuil)
Serrer le corps du grand marin, c’est entrer de plein fouet dans les entrailles du livre, adapter son langage et ses odeurs, sombrer avec lui, le soir, la nuit, glisser sur le port et repeindre la ville en rouge. Ivre et hagard au matin, l’alcool dans le sang, à terre, les grands marins tanguent. Ils n’ont pas le pied, ils n’ont plus le sens. Ils flottent et se décharnent. Lili, elle, elle veut être avec eux, s’écorcher la face, elle veut du ressac, elle veut du vent, le sel pour ronger son visage, la mer pour réparer son corps. Elle veut un bateau. Etre adoptée. Pénétrer la chair d’un bateau pour l’habiter tout entier, au bout du monde, voire y disparaître.
Lire ce livre, c’est se tenir avec son propre corps au bastingage comme aux comptoirs des bars, vivre les gueulantes des hommes et des vagues, là sur le pont à ne pas savoir comment s’y prendre. Etre un Homme et s’y tenir. Porter, tendre, attendre son tour par terre et ne plus savoir dormir que par chapitres.
Puis il faudra rentrer le ventre plein, il faudra se battre pour faire le travail et faire rentrer l’argent. Remplir les cales puis y descendre, vider, nettoyer, les pieds englués dans la glace, l’eau des viscères dans les habits, les carcasses des poissons encore accrochés à la peau. Le goût dans la gorge, son cœur encore chaud dans l’estomac. Et Lili, telle une ombre, se laisser embarquer avec elle doucement, et par les autres, leurs prénoms, leurs figures, leurs voix fortes à tous frappant nos sens…
Sandrine Ferron-Veillard
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