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Roman

Chronique d’une mort annoncée, Gabriel Garcia Marquez, Le Livre de Poche (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 30 Novembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Le Livre de Poche

Chronique d’une mort annoncée (Crónica de una muerte anunciada, 1981), Gabriel Garcia Marquez, Le Livre de Poche, 1987, trad. espagnol (Colombie) Claude Couffon, 116 pages, 5,70 € Edition: Le Livre de Poche

Le titre du roman induit les jeux de temps auxquels Garcia Marquez se livre dans ce récit. « Il mourra, il est mort, il meurt » scandent les lignes de l’assassinat de Santiago Nasar. La virtuosité sans pareille du maître colombien conjugue à l’envi ce verbe, nous entraînant dans un tourbillon narratif aussi vertigineux que réjouissant. Car ce roman, baroque et burlesque de bout en bout, est d’une grande drôlerie. Mais comme il se doit avec le maître colombien, les lignes de tension qui structurent le récit relève des plus hautes traditions classiques.

Ainsi la métaphore christique qui tient la totalité de la narration. Santiago Nasar est condamné par une dénonciation calomnieuse. Les événements qui s’ensuivent – et qu’un chroniqueur-narrateur va rapporter par le menu – constituent une machine infernale que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter, pas même les plus hautes autorités qui savent ce qui va arriver. Pilate n’était pas favorable au supplice de Jésus, mais l’opinion publique l’a contraint à laisser faire. Ici aussi la Vox Populi – tout le monde dans la ville est au courant du meurtre qui se prépare sauf… l’intéressé – joue le rôle d’une fatalité meurtrière.

La Racine ombreuse du mal, Isabelle Caplet, Simone Soulas (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 26 Novembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions Maurice Nadeau

La Racine ombreuse du mal, Isabelle Caplet, Simone Soulas, octobre 2021, 242 pages, 19 € Edition: Editions Maurice Nadeau

 

Un tout jeune homme, Henri Montfort, brillant étudiant, fils « de bonne famille » au visage d’ange, est retrouvé mort, allongé dans un décor bucolique rappelant celui du Dormeur du Val, avec, détail intrigant, de la cendre d’origine mystérieuse dans la bouche et dans la main droite. L’autopsie révèle que le décès est dû à l’ingestion d’un mélange de curare et de matières hautement toxiques très rares. Suicide ? Crime ? Mise en scène macabre d’un rituel sectaire ?

Le roman commence, juste avant la découverte du corps, par le récit du cauchemar qui agite en son sommeil un des personnages principaux, Juliette, détentrice aléatoire de pouvoirs divinatoires intermittents. Réveillée par le malaise qu’a provoqué en elle son rêve inachevé, Juliette « sait » que son cauchemar contient « une annonce, un péril imminent ». Mais lequel ? Il se trouve que Juliette est l’amie fidèle du commissaire Louis Gardeur, à qui est confiée la mission d’enquêter sur l’affaire.

Châteaux de sable, Louis-Henri de La Rochefoucauld (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 25 Novembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Robert Laffont

Châteaux de sable, Louis-Henri de La Rochefoucauld, août 2021, 256 pages, 19 € Edition: Robert Laffont

 

« Notre amicale de descendants de guillotinés triés sur le volet se réunissait trop rarement. Il aurait fallu se voir une fois par mois sans que personne ne le sache, dans des lieux secrets : le cimetière Picpus, un salon du Jockey Club, les jardins du château de Versailles, le sous-sol de la Chapelle expiatoire… ».

Le narrateur de ce roman virevoltant n’est autre qu’un descendant de La Rochefoucauld, un nom qui s’accorde avec l’Histoire de France, celle de l’Ancien Régime, avec ses sauts et soubresauts, ses passions et ses trahisons, ses mensonges et ses gloires. Difficile de passer à côté de l’Histoire lorsque l’on descend de La Rochefoucauld-Liancourt qui prévient Louis XVI de la prise de la Bastille. Difficile d’oublier son histoire lorsque l’on apprend que les La Rochefoucauld détiennent le record du nombre de morts sous la Révolution française, quatorze au total, de Pierre-Louis et François-Joseph, deux évêques, assassinés à la prison des Carmes, à Anne, guillotinée place de la Révolution – Nous avions payé cher le prix de l’agitation populaire. Le jacobinisme était-il un humanisme ? Vous avez quatre heures.

Le petit fiancé, récits du Ghetto de New York Abraham Cahan (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Novembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Nouvelles, Zoe

Le petit fiancé (The Imported Bridegroom and Other Stories of The New York Ghetto, 1898), Abraham Cahan, traduit de l’américain par Isabelle Rozenbaumas, 177 pages Edition: Zoe

Un court roman et une courte novella nous plongent dans une tradition aussi ancienne que la culture juive d’Europe centrale : le conte, le récit imaginaire dans les faits mais qui plonge ses racines au plus profond de la réalité juive dans l’aventure de l’exil auquel l’antisémitisme l’a contrainte. Deux joyaux, disons-le d’entrée, d’une vie, d’un esprit, d’une ironie de chaque page, de chaque ligne, qui ne peuvent que réjouir pleinement le lecteur le plus exigeant.

Le Petit Fiancé est un chef-d’œuvre de condensation littéraire. Dans une économie de moyens stupéfiante, Cahan nous emmène dans une histoire qui, de New York à Pravly, et retour, concentre magistralement le destin des Juifs émigrés en Amérique à la fin du XIXème siècle. Le fait même d’inscrire cette histoire dans un aller-retour entre la modernité grandissante de la grande ville américaine et le bourg du pays d’origine, produit un effet saisissant non d’éloignement géographique mais temporel. Le vieux Azriel plonge dans le temps, dans sa mémoire – et dans celle de milliers d’émigrés - quand il redécouvre 35 ans plus tard les rues et ruelles de Pravly, stupéfait par l’exiguïté des lieux, rétrécis par les années passées dans les vastes avenues new-yorkaises.

L’Insigne rouge du courage, Stephen Crane (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 16 Novembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Gallmeister

L’Insigne rouge du courage (The Red Badge of Courage, 1895), Stephen Crane, trad. américain, Pierre Bondil, Johanne Le Ray, 211 pages, 8,50 € Edition: Gallmeister

 

Roman culte, source de toute littérature sur la guerre de Sécession, ce livre est d’abord – dans son ouverture – une série de tableaux vivants de scènes de la terrible guerre civile qui ensanglanta l’Amérique de 1861 à 1865. Tableaux au sens le plus pictural du terme, tant ombres et lumières, éblouissements et ténèbres, couleurs et reflets s’entrecroisent et se disposent à la manière de l’art d’un peintre. Le champ lexical visuel envahit le récit, envoyant comme une obsession des images qui marquent l’imagination et la mémoire. Aux scènes toujours en mouvement de Shelby Foote (Shiloh) et de Lance Weller (Wilderness, Le cercueil de Job), Stephen Crane fait écho au contraire par l’immobilité des moments de la narration. Si Foote et Weller ont proposé des séquences filmiques, Crane propose une projection de diapositives, de photos fixes. A l’opéra, Crane préfère des tableaux enchaînés à la manière d’Henry Purcell dans son King Arthur, arias sombres et graves succédant à arias guerriers et éclatants.