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Roman

Moi, le Suprême, Augusto Roa Bastos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 04 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine

Moi, le Suprême (Yo el Supremo, 1974), Augusto Roa Bastos, Editions Ypsilon, Nouvelle édition, février 2020, trad. espagnol (Paraguay) Antoine Berman, 514 pages, 25 € . Ecrivain(s): Augusto Roa Bastos

 

Les futurs lecteurs de ce monument littéraire doivent être avertis qu’il s’agit d’un déluge de grêle, dense, violent, asphyxiant. L’écriture en phrases très courtes qui dessine le roman tout du long ne laisse aucun répit, aucune respiration. Augusto Roa Bastos/José Gaspar de Francia – le Suprême – éructe, vilipende, harangue, injurie, met au défi, admoneste, houspille, pérore, prêche. Il envoie aux gémonies les scribouillards, les courtisans, les chapons et les frelampiers. L’histoire du Paraguay – dont il est un acteur essentiel –, les arcanes du pouvoir, la puissance de la littérature forment la matière de ce livre somptueux, nécessaire.

Moi, le Suprême est l’un des textes majeurs de la littérature latino-américaine. C’est le flux de mémoire et de conscience de José Gaspar Rodríguez de Francia, auto-proclamé « Suprême », mais pas seulement. Il s’agit, a écrit Carlos Fuentes, du dialogue entre Roa Bastos et Roa Bastos, à travers l’histoire et à travers une figure historique monstrueuse que le romancier doit imaginer et comprendre pour pouvoir un jour s’imaginer et se comprendre lui-même ainsi que son pays.

Si tu vas à Marrakech, Mustapha Nadi (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 16 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, L'Harmattan

Si tu vas à Marrakech, mai 2021, 105 pages, 13 € . Ecrivain(s): Mustapha Nadi Edition: L'Harmattan

 

« Si tu vas à Marrakech, n’oublie pas l’envers du décor ! », prévient l’auteur.

Mustapha Nadi, né dans la cité impériale du sud marocain, vivant en Lorraine, dévoile la vision qu’il a de sa ville natale, dont il découvre et redécouvre, à chacun des séjours qu’il y effectue, les faces cachées, occultées derrière l’écran du panorama de carte postale qu’en fabriquent les faiseurs de documentaires destinés aux hordes de touristes qui aspirent à y débarquer en quête d’un exotisme devenu là parfaitement artificiel.

« Comme une cicatrice qui ravive son origine, une blessure. Naître à Marrakech et vivre en Lorraine. […] Bien des années plus tard, un lien irrationnel […]. Une sorte de cordon subliminal ».

Dans une double tonalité, l’une, diffuse, de nostalgie des origines et des scènes révolues d’un quotidien paisiblement affairé, l’autre, expressivement sensible à fleur de phrase, d’anxiété face au présent et à l’avenir, en seize courts récits, Nadi aborde un par un chacun des éléments d’un décor dont il présente alternativement la face visible et le revers.

Un jour, Maurice Genevoix (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 14 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Plon

Un jour, Maurice Genevoix, Plon, septembre 2021, 208 pages, 19 €

 

 

En 1976, Maurice Genevoix est âgé de quatre-vingt-six ans et publie un bref et intensément paisible roman, Un jour. Que ce roman soit une somme, une synthèse ou un testament importe peu, ce ne sont que des étiquettes. À vrai dire, malgré les références faites à la propre œuvre et à la propre biographie de l’auteur, ce roman peut (doit ?) être lu comme un récit indépendant de toute littérature, de toute histoire littéraire, de toute considération universitaire – un peu comme l’œuvre de Genevoix, qui se méfiait voire se gaussait des théories littéraires ou psychanalytiques, surtout appliquées à ses livres. Juste, mais c’est suffisant pour l’âme, une déambulation entre amis silencieux malgré les mots prononcés, un de ces moments rares de proximité absolue avec l’Autre – qui est peut-être au fond soi-même, on y reviendra.

La Cathédrale des noirs, Marcial Gala (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 13 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

La Cathédrale des noirs, Marcial Gala, Belleville éditions, octobre 2021, trad. espagnol (Cuba) Maïra Muchnik, 240 pages, 19 €

 

« SI T’ATTERRIS ICI, C’EST POUR LA VIE, quelqu’un l’avait écrit sur le mur d’une maison, et c’est vrai que le quartier était chaud, vraiment chaud »

 

D’une construction fort originale, La Cathédrale des noirs, avec ses airs de simplicité et son humour caustique de quartier populaire, se bâtit sur une succession de témoignages qui dessine de plus en plus clairement une réalité trash et sanglante. Nous sommes à Cienfuegos, la « perle de Cuba », sa fameuse baie et ses plages adulées par le touriste, mais dans La Cathédrale des noirs, nous ne verrons pas la plage, juste quelques virées au quartier blanc de Punta Gorda pour y vendre de la viande et quelle viande !

Les faits qui sont au cœur de ce roman se déroulent à Punta Gotica, quartier pauvre, quartier noir, avenir barré, vilaines combines, drogue, alcool, sorcellerie, putes et criminalité. Punta Gotica est un quartier où on pisse sur la tête de l’ennemi vaincu.

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 08 Décembre 2021. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Philippe Rey

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, août 2021, 448 pages, 22 € Edition: Philippe Rey

 

« On ne rencontre pas Elimane. Il vous apparaît. Il vous traverse. Il vous glace les os et vous brûle la peau. C’est une illusion vivante ».

« Mais, par-dessus tout, ce qui m’avait lié à lui était la même foi désespérée qu’on plaçait dans l’entéléchie de la vie qu’incarnait pour nous la littérature. Nous ne pensions pas du tout qu’elle sauverait le monde ; nous pensions en revanche qu’elle était le seul moyen de ne pas s’en sauver ».

On ne rencontre pas un roman d’une telle intensité, d’une telle force, d’une telle tenue, d’une telle originalité, il vous apparaît. Les grands romans sont des apparitions qui fondent, et troublent l’Histoire de l’art romanesque, comme ils troublent des générations de lecteurs. La plus secrète mémoire des hommes vous traverse, comme vous traverse un roman fondateur, saisissant, vibrant, qui vous comble à le lire, et que vous reprenez, pour à nouveau vous en nourrir, comme l’on se nourrit d’une nourriture céleste, que vous l’ouvrez à nouveau, pour y glisser votre regard attentif entre deux lignes et trois phrases, qui restaient suspendues dans votre mémoire.