Aux vents de noroît Ouessant, L’infini des limites, Arnaud Montoux (par Murielle Compère-Demarcy)
Aux vents de noroît Ouessant, L’infini des limites, Arnaud Montoux, éditions du Mont-Ailé, décembre 2021, 84 pages, 15 €
L’Ouessant insulaire et légendaire, situé en territoire de « fin de la terre » nommé Finistère, ne pouvait que résonner d’une poésie fouettée par la vigueur des éléments, à l’instar des photographies qui accompagnent les textes d’Arnaud Montoux dans ce beau livre publié par les éditions du Mont-Ailé dans leur Collection Patrimoine « Des pierres et des ailes » dont l’objectif est de « mieux habiter nos lieux de mémoire ». Le prêtre-poète (Arnaud Montoux officie au Diocèse de Sens-Auxerre et est Professeur de Théologie à l’Institut Catholique de Paris), auteur à la fois des photographies et de leur vis-à-vis textuel, porte son passage « au travers des ressacs de chaos » diffusés sur des arrière-plans de couleur noire, il passe « en ruse / au risque d’y briser mâture, équipage, pavillon » sans lâcher sa prise face à la force atlantique, exposé «aux vents de noroît », ce vent du nord-ouest froid et sec qui travaille les hommes, les paysages de la mer.
Le plan de l’Isle d’Ouessant en frontispice nous ancre géographiquement comme pour mieux nous stabiliser avant le départ, armés d’une rose des vents (Rod an avelioù en breton…) avec lesquels les marins de Bretagne doivent apprendre à composer. Aux latitudes bretonnes les vents soufflent régulièrement de l’ouest entre la dépression d’Islande et l’anticyclone des Açores. Lors du passage d’une dépression le vent souffle de nord-ouest (noroît) à l’arrière du front froid, un vent qui souffle en rafales et refroidit l’atmosphère. Le topos célébré ici par le poète ne constitue donc pas une zone de confort, mais bien une zone de haute tension comme celle où circulent ces vents, aire tumultueuse qui, en outre, se gagne au prix d’une volonté constructive et de ferveur
Quel serment brisera l’étreinte de la terre ?
Seules les âmes dépecées, brûlées au sel, le découvriront,
au prix de ta soif
Depuis la réalité du Finistère, ce territoire désignant la « fin de la terre », Arnaud Montoux nous transporte « à la fine lisière du monde », sur cette lande où s’éprouve « l’infini des limites », où s’étire
séparant de ses quelques grumeaux
la bruyère et les cieux,
la vie des hommes…
fragile et précieuse
« La promesse d’un demain », affirme l’espoir du poète, se murmure par la voix divine abouchée à nos existences ruisselantes d’eau, du sel de nos larmes, polluées par le mal. C’est dire qu’un message empreint d’humanisme sourd de ces instantanés cosmiques et poétiques ébranlant les plages du monde comme nos pages d’existence dans l’espoir de faire entrevoir, « au-delà des rivages d’évidence », au-delà des « falaises des temps qui broient les dents, les os », un possible archipel d’une fraternité retrouvée, un archipel de la parole à hauteur d’homme ; une « échancrure vers l’ailleurs ».
Dans ce livre d’Arnaud Montoux, le vent (en l’occurrence les vents de noroît) constitue le vecteur élémentaire pollenisateur de notre mémoire collective et individuelle, passeur de l’histoire des hommes et de l’imaginaire à l’oeuvre sur un territoire geo-poétique. Le noroît est ici messager des mots comme il l’est de l’air, l’un des quatre éléments dont la poétique bachelardienne a approché les ruches sémantiques dans leur dimension existentielle, cosmique, psychologique, créatrice. Le poète et le monde sont ainsi, traversés par les vents de noroît, à l’écoute « des printemps anciens (qui) soufflent en nous, / jusqu’au-delà des nuits ». L’au-delà des entités positionne dans ces textes l’individu au bord du monde, entre hier et demain, dans un infini des limites qui approfondit l’épaisseur d’une réalité qui nous déborde et dont nous sommes les semeurs, mains et mots tendus vers sa transcendance -épaisseur approfondie simultanément par l’expressivité du noir & blanc des photographies.
Quand nos vaisseaux,
leurs châteaux, leurs mâts et leurs voiles , sorguent sans matin,
nos âmes, tendues vers l’infini, en conservent le désir,
comme vivres et boussole.
/
Que se taisent les évidences obscènes d’harmonies sans désir,
que se délivrent le sel et la terre,
et que monte la lourde palpitation de sa Soif.
Le monde marche et titube à la recherche
de l’Unique Mystère qui le consumera.
Des fragments du réel et de nous-mêmes demeurent encore obscurs dans notre acheminement (« Tout ce que je suis, à moi-même, / à ce coeur-là qui me perce de son ombre claire, / tient entre les dents de ce passé qui n’est pas encore ») et il arrive que notre égarement fasse de nous des forteresses vides (« Privés d’écueils ou de naufrages, / nos heures ne sont plus que châteaux égrainés »), que la solitude et l’absence soient les forces qui nous restent pour hisser les voiles de nos « âmes festonnées de rouille », cependant nous poursuivons notre navigation au Large, en longeant les côtes, cap comme sur l’île d’Ouessant qui « vole (...) / ; porte aux ombres des vents les lumières et les sables noyés, / les vertiges sans nom ni mémoire ». Ancrés par nos racines, ballotés par nos amarres rongées par les aléas des vents, nous sommes pareils à ces bâteaux échoués sur des berges de varech,
tirant sur leurs sabayes, prisant le large, scrutant la colère,
jamais rassasi(és) de luttes, jusqu’au baiser de l’horizon »
Il est à noter que le poète emploie le pluriel pour désigner le noroît, vent régional de Bretagne (le Gwalarn), de Nord-Ouest, qui se forme lorsque passe un front froid venant du golfe de Gascogne et pouvant atteindre jusqu’à 100 km/h, vent très froid et souvent accompagné de très fortes pluies courtes. Arnaud Montoux emploie ici le mot en sa forme plurielle afin de souligner la puissance symbolique et poétique des vents de noroît, les accordant aux multiples correspondances qu’ils peuvent générer par leur force de frappe, leurs échos. Ce que les vents m’ont dit, avait-on intitulé le livre hommage à Xavier Grall, poète breton lui aussi qui parla de sa Bretagne comme d’une œuvre d’art, d’un territoire vibrant et vivant sculpté par les vents et l’océan, d’une œuvre vive et brute restée sauvage à travers les âges.
Les vents, lorsqu’ils sont de noroît, lorsqu’ils sont finistériens, n’auront-ils toujours leur poésie ? Le livre d’Arnaud Monthoux en apporte une nouvelle preuve.
© Murielle COMPÈRE-DEMARCY (MCDem.)
Arnaud Montoux
Originaire de la pointe bretonne, Arnaud Monthoux est prêtre du Diocèse de Sens-Auxerre et Professeur de Théologie de l’Institut Catholique de Paris. Depuis plusieurs années, il a choisi Ouessant comme lieu d’éloignement et de repos, mais l’île est très vite devenue terre d’inspiration et d’authentification pour sa recherche. C’est au contact de cette pierre philosophale plantée en haut de l’Atlantique que ses mots se sont risqués sur le sentier de poésie. Il est l’auteur au Mont-Ailé d’un essai remarqué sur Marie Noël, La Fauvette, la Sybille et le Cavalier.
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