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Roman

Danser les ombres, Laurent Gaudé

Ecrit par Zoe Tisset , le Samedi, 03 Décembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Babel (Actes Sud)

Danser les ombres, 250 pages, 7,80 euros. . Ecrivain(s): Laurent Gaudé Edition: Babel (Actes Sud)

 

Laurent Gaudé à travers ce roman  rend hommage à Haïti et à sa population. Il en trace une cartographie emplie d’humanité, de courage, sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Ici, ce sont encore les liens humains qui priment, malgré les manœuvres et les turpitudes politiques. Lucine, arrive de Jacmel à Port-au-Prince pour y annoncer un décès. Mais très vite, elle prend conscience qu’elle ne pourra plus repartir de cette ville où elle a vécu les révoltes estudiantines. « Elle était là, elle, au milieu de tout cela, et elle sentait qu’elle retrouvait non seulement sa ville, puante, grouillante, frénétique, mais aussi sa propre existence. » Gaudé montre aussi à travers des vies et des personnages qui se croisent les différences sociales énormes de ce pays. «La grande porte du grillage s’ouvre enfin et Saul découvre ce qu’il ne pensait pas possible à Port- au-Prince : un vaste parc en terrasse, verdoyant, où des petites allées de graviers serpentent à travers les manguiers, descendent en escalier jusqu’à une immense villa qui domine la ville (….). Le vrai luxe pense t-il à cet instant, c’est d’échapper aux regards. Dans cette ville où tout le monde vit dehors, où l’on peut assister- le temps d’une promenade- à des disputes, des parties de cartes entre amis, des bains de nourrissons, le vrai pouvoir, c’est se soustraire aux yeux des autres. »

Les Hauts du Bas, Pascal Garnier

Ecrit par Guy Donikian , le Vendredi, 02 Décembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Zulma

Les Hauts du Bas, octobre 2016, 191 pages, 9,95 € . Ecrivain(s): Pascal Garnier Edition: Zulma

 

Les éditions Zulma rééditent ce roman au format poche, l’édition précédente datant de 2003. Initiative qu’il faut saluer tant la (re)lecture de ces lignes est jubilatoire. L’exercice de la recension impose une certaine neutralité, une retenue, quant à l’enthousiasme ou l’indifférence et parfois même l’ennui ressentis durant la lecture de certains. Lire Pascal Garnier crée le besoin de dire le plaisir, une fois encore jubilatoire, de son texte. On fera donc fi, ici, du respect de ces contraintes pour une expression plus fidèle aux émotions.

On ouvre le livre, et les pages s’enchaînent d’elles-mêmes, si je puis dire, sans pourtant que rien de bien extraordinaire n’ait lieu. Une lecture fluide pour des personnages plus qu’ordinaires (ou presque, j’y reviendrai) des situations banales, du quotidien donc dont la description et la narration feraient rapidement sombrer le texte dans l’ennui et le livre nous tomberait des mains. Mais on lit, et on attend au détour de chaque ligne la surprise du mot juste, de l’expression parfaite qui renvoie immédiatement à l’image, ce n’est plus une évocation d’un lieu ou d’un personnage, ce sont l’image précise, la situation exacte d’un individu dans le temps et dans l’espace, l’incongruité de ses sentiments, sa férocité, sa monstruosité parfois qui se font jour sur la page.

Le Garçon qui n’existait pas, Sjon

Ecrit par Martine L. Petauton , le Jeudi, 01 Décembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Rivages

Le Garçon qui n’existait pas, octobre 2016, trad. Islandais Eric Boury, 150 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Sjon Edition: Rivages

 

Beau livre, étrange, que celui-ci. Unique surtout – sujet, cadre, façons, écriture – écrit par ce poète et romancier d’Islande, également parolier de la non moins unique Björk, qu’on croit entendre de temps à autre, de page en page, et sentir, du moins, son univers. Mais l’Islande n’est-elle pas seule au monde à être ce qu’elle est, ce que marque ce livre en son entier : verte, constamment humide, violente comme ses substrats géologiques, les volcans : « l’éruption du volcan Katla se calme peu à peu… et ce matin, quand les habitants de Reykjavik se sont éveillés, la cendre tapissait les vitres des maisons ». La chair du récit vibre aux marqueurs de cette géographie particulière, menaçante, sans apocalypse déclarée pour autant, seulement la genèse d’un chaos à l’œuvre. Ile battue de tous les vents de l’Histoire européenne – fin de la Première Guerre mondiale, terrible épidémie de Grippe espagnole de 1918. Accouchement, aux mesures de l’ile, dont on sent à chaque page les saccades, ligne brisée des sismographes : « Les rues sont des béances désertes, on aperçoit furtivement quelques silhouettes fantomatiques… vieilles femmes emmitouflées dans des vêtements noirs qui se sont enveloppées de châles… elles ont contracté tant d’épidémies au fil de leur vie que le mal monstrueux qui se fait un festin du corps de leur descendance ne trouve rien à se mettre sous la dent dans leur vieille carcasse usée ».

Un fond de vérité, Zygmunt Miloszewski

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 01 Décembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Pays de l'Est, Mirobole éditions

Un fond de vérité (Ziarno prawdy, 2014), trad. polonais Kamil Barbarski, 475 pages, 22 € . Ecrivain(s): Zygmunt Miloszewski Edition: Mirobole éditions

 

Ce polar, le deuxième de l’auteur qui en a écrit et publié trois à ce jour, risque de vous poser, cher lecteur, une première difficulté : comment prononcer les noms des personnages, des lieux, de l’auteur… C’est que pour la majorité d’entre nous, le polonais c’est un peu une énigme phonétique. Même une fois que c’est traduit. L’autre difficulté, c’est de comprendre une société dont on connaît mal, peu ou pas du tout l’histoire, la culture, le fonctionnement… Une fois passés en revue nos souvenirs concernant la Shoah, le ghetto de Varsovie, puis les chantiers navals de Gdansk et la figure de Lech Walesa qui inspira en son temps le cinéaste Andrzej Wajda récemment disparu (L’Homme de marbre puis L’Homme de fer). N’oublions pas non plus la figure de Jean-Paul II (Karol Jozef Wojtyla). Pays catholique, oh combien. Doté aussi d’une histoire dont les juifs ont largement fait les frais, sur fond de folklore ashkénaze et d’antisémitisme « décomplexé ». Il y a aussi cette fameuse image du plombier polonais pour achever de faire écran entre nous et ce pays de buveurs de vodka au bison.

Métamorphoses d’un Mariage, Sándor Márai

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 30 Novembre 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, Pays de l'Est, Le Livre de Poche

Métamorphoses d’un Mariage, trad. hongrois Zéno Bianu et Georges Kassai, 512 pages, 7,60 € . Ecrivain(s): Sandor Marai Edition: Le Livre de Poche

 

Parmi les auteurs phares de la Mitteleuropa, on cite volontiers Stefan Zweig, Arthur Schnitzler ou encore Joseph Roth ; depuis quelques années et un programme de traduction en français toujours en cours, on sait que l’on doit leur adjoindre le Hongrois Sándor Márai (1900-1989), entre autres pour les romans Les Braises, L’Etrangère ou encore le récemment publié par Albin Michel La Nuit du Bûcher. Chacun des romans lus de cet auteur est une fête de l’esprit, une plongée dans l’âme humaine digne des plus grands, qu’ils proviennent de l’ancien Empire austro-hongrois ou qu’ils soient américains (Henry James) ou français (Marcel Proust) ; s’il existe une chose telle qu’un prix Nobel de Littérature à titre posthume, voici un sérieux prétendant, et si la mauvaise foi guide cette assertion, qu’elle soit mise au compte de l’émerveillement littéraire. Quant au présent Métamorphoses d’un Mariage (Az igazi, Judit… és az utóhang, 1980, traduction en 2006), par son dispositif narratif imparable et sa capacité à embrasser le global, le sort de la Hongrie, au travers de l’intime, le sort d’un couple bourgeois, il ne fait que conforter cette opinion.