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Roman

Frère d’âme, David Diop (par Dominique Ranaivoson)

Ecrit par Dominique Ranaivoson , le Mercredi, 31 Octobre 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Seuil

Frère d’âme, août 2018, 176 pages, 17 € . Ecrivain(s): David Diop Edition: Seuil

 

Les quatre années consacrées au Centenaire de la Grande Guerre ont déclenché une véritable fièvre éditoriale et on pourrait en conclure que tout a été réévalué, reconsidéré, que tous les arts se sont déployés pour ce temps de célébration. Or, voici, in extremis, un roman qui ne vient pas se surajouter aux autres puisqu’il réussit à surprendre et subjuguer.

Ce long monologue est la parole d’Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais illettré rapatrié à l’Arrière pour s’être montré plus sauvage encore que ce qui était demandé par une France qui pourtant, dit-il, « a besoin que nous fassions les sauvages quand ça l’arrange » (25). Au milieu des soldats traumatisés qui hurlent dans la nuit, pris en main par le médecin, il cherche à comprendre comment, dans la boue et la violence, entre « les Toubabs et les Chocolats » (46), il a basculé. Il dit ce qu’il a compris de la guerre, de lui, des autres, de la vie dans un récit traversé par un lancinant « j’ai su, j’ai compris » et par l’invocation « par la vérité de Dieu », comme l’enfant-soldat de Kourouma dans Allah n’est pas obligé (2001).

Courrier de nuit, Hoda Barakat (par Carole Darricarrère)

Ecrit par Carole Darricarrère , le Mardi, 30 Octobre 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud, Moyen Orient

Courrier de nuit, octobre 2018, trad. arabe Philippe Vigreux, 144 pages, 16 € . Ecrivain(s): Hoda Barakat Edition: Actes Sud

 

La nuit, la Littérature a mal. Elle envoie des lettres au monde, dès lors que l’Histoire s’incarne dans la menace d’un éternel retour. Nausée. Prélude à une introspection sartrienne sur le sens de l’existence.

C’est sur le mode de la confession, dans un style factuel à cran et à croc qui ne nous fait grâce d’aucun détail, sans jamais juger ni prendre parti, que Hoda Barakat, écrivaine libanaise vivant en France, dresse un tableau au vitriol de la condition humaine d’une actualité brûlante en cinq épisodes et quelques échos dont la tension dramatique installe un climat délétère dont le lecteur ne ressort pas indemne : roman âpre, expressif, frontal, qui jette un éclairage sensible d’une acuité intense sur les profondes mutations politiques et sociales auxquelles le monde est confronté.

Âmes sensibles s’abstenir, ce livre d’épistoles, traduit de l’arabe, qui se lit comme un recueil de nouvelles, dissèque les subtiles chambres de torture de la psyché humaine et dresse, à cheval sur d’invisibles frontières, un portrait pathétique des tristes pantins victimes et bourreaux d’une société barbare profondément toxique, présage d’un No future nous laissant désemparés face à un sentiment de malaise grandissant qui nous collerait à la peau.

Concours pour le Paradis, Clélia Renucci (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 30 Octobre 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel

Concours pour le Paradis, août 2018, 268 pages, 19 € . Ecrivain(s): Clélia Renucci Edition: Albin Michel

 

Venise, nuit du 20 décembre 1577. Le feu ravage le palais des Doges. Véronèse, réveillé par son frère Benedetto, ne s’alarma tout d’abord pas de l’incendie, mais devant l’agitation inhabituelle des Vénitiens, il ne put que se rendre à l’évidence : l’affaire était grave, et le palais des Doges allait subir des dégâts très importants.

« Rien ne subsistait de la salle du Grand Conseil, ni les bancs des patriciens, ni la tribune sculptée dans un bois précieux, ni les dizaines de portraits des doges répartis en frise en-dessous du plafond aux cadres dorés à l’or fin. De l’immense fresque représentant le Paradis, ils distinguèrent à peine quelques fragments ». Ce sont là les dernières lignes des premières pages de ce roman historique qui donnent au lecteur le propos du livre : Le Paradis, cette immense toile ayant été détruite, c’est son remplacement dont il va être question et les conditions et péripéties qui vont en émailler la facture.

Fièvre des polders, Henri Calet (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Fièvre des polders, novembre 2017, 200 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Henri Calet Edition: Gallimard

 

Troisième roman, publié la première fois en 1939, de l’auteur célébré de La Belle Lurette, des Grandes largeurs et de Le Tout sur le toutFièvre des polders est un tableau hallucinant de réalisme, planté en pleine Flandre, dans la région des polders, d’où le titre choisi par l’écrivain franco-belge, né d’un père parisien et d’une mère flamande, et qui passa son adolescence en Belgique occupée (il est né en 1904).

Ward Waterwind et sa famille, Nette, sa femme, ses enfants Odilia et Basilius, vivent de la bière que Ward fabrique, que sa femme sert à L’Ancre, estaminet parmi d’autres, dans une concurrence de tous les instants : il faut affronter ces autres cafés, Le Scaphandrier, par exemple, ou encore Le Perroquet, L’Ange, Le Transvaal…

Ward fait la tournée avec son cher cheval Jules pour servir ses clients en tonneaux, en bouteilles, ne se fait pas toujours payer, encourt bien sûr les reproches de Nette car il est plus porté à boire qu’à recueillir monnaie. Heureusement que l’estaminet lui est bien tenu par sa femme et sa fille…

Le testament de Dina, Herbjørg Wassmo (par Zoé Tisset)

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques

Le testament de Dina, Editions Gaïa, septembre 2018, trad. norvégien Loup-Maëlle Besançon, 552 pages, 24 € . Ecrivain(s): Herbjørg Wassmo

 

Ce livre vous tient en haleine, il égaie la journée du lecteur car il sait qu’il a rendez-vous le soir avec Karna, jeune fille fragile dont la parole ou plutôt le silence et le corps sont devenus, pour une seule cérémonie, les lignes du testament de Dina sa grand-mère. Pour Karna alors, le monde de la réalité et celui onirique d’une grand-mère aventurière et féministe avant l’heure se sont confondus.

« Comment Johan, un adulte, un pasteur, avait-il pu ainsi exposer une enfant en lui demandant de confesser à l’église les crimes de sa grand-mère ? Ne comprenait-il pas qu’il y avait des limites à ce qu’une jeune personne était en mesure de supporter ? ».

Le lecteur est rapidement happé par l’histoire de cette famille aux prises avec la folie et la passion. Nous sommes dans une tragédie et chaque personnage est ancré dans une réalité qui le dépasse. Benjamin, le père de Karna, mais aussi le mari d’Anna qu’il a trahi mais qu’il aime, ne sait plus comment « réparer sa faute ».