Nos richesses, Kaouther Adimi (par Philippe Leuckx)
Nos richesses, septembre 2018, 192 pages, 6,60 €
Ecrivain(s): Kaouther Adimi Edition: PointsFaire d’une vie d’éditeur un roman, c’est le projet que s’est donné cette jeune écrivaine de trente-deux printemps, née à Alger, vivant aujourd’hui à Paris. Alger n’est pas pour rien dans cette histoire puisque la capitale algérienne joue un grand rôle, elle est l’un des décors importants de cette aventure.
Edmond Charlot, né en 1915, décédé en 2004, fut dans les années trente et quarante une figure héroïque de l’édition à Alger. La librairie qu’il ouvrit devint un vivier de littérature et d’écrivains d’artistes, accueillis dans un mouchoir de poche, un local de quatre mètres sur sept, 2 bis, rue Charras. Camus, Armand Guibert, Jean Amrouche, entre autres, sont passés par cet étonnant lieu de culture, tenu à bout de bras par Charlot et une petite équipe.
Le roman recrée des épisodes de la vie de cet intellectuel rassembleur et passeur grâce aux « Carnets », en alternance ici avec l’aventure d’un jeune étudiant, Ryad, chargé en 2017 de déblayer la Librairie Charlot Les Vraies Richesses, de jeter les livres restants. Au grand dam d’Abdallah, « le dernier gardien des lieux ». La librairie a fermé depuis longtemps, nullement débarrassée. Elle est restée telle après les avanies du temps, quelques parcours agités. La figure de cet ancien, drapé de blanc, rappelle combien le livre était pour lui un trésor à conserver dans les meilleures conditions. Le temps va en décider autrement.
Rendre compte de cette période, c’est faire bien sûr œuvre d’historienne des lettres algéroises et de la littérature francophone qui a pu éclore grâce à ce très jeune éditeur (il a vingt ans) : Bosco (et son Mas Théotime), Giono (qui avait offert l’enseigne tirée de son œuvre), Camus (pour une pièce interdite), etc.
Charlot, un jour, prend l’initiative de doubler sa Librairie en ouvrant une succursale à Paris. Mais le projet et sa réalisation n’auront pas le bonheur qu’il en attend.
Ryad, Abdallah, le quartier se lient d’affection, et l’émotion est au rendez-vous, alors que la mission semblait bien vaine à certains protagonistes, au départ.
Nourrie des travaux d’un Guy Dugas autour de la littérature méditerranéenne, du Fonds Armand Guibert de l’Université de Montpellier et d’essais portant sur les lettres algéroises, la recherche de Kaouther Adimi procure une réelle plongée dans ces temps bénis où des éditeurs (comme Charlot, Pauvert…) se lançaient dans des projets fous pour défendre le livre, la littérature.
Dans le sillage de Sallenave (et son Don des morts), Adimi, avec Nos richesses, redit avec ferveur son amour pour le livre, pour la culture libre, pour l’ouverture des esprits.
Elle ne fait pas l’impasse sur les soubresauts terribles de l’histoire de son pays, rappelés au fil du parcours de Charlot : Sétif et les massacres de 1945, la guerre d’indépendance, les plastiquages dont l’éditeur a dû souffrir (son lot de livres presque entièrement détruit), les racines du mal algérien (corruption, dérive étatique, surveillance policière).
D’une belle construction, jouant des retours en arrière, avec l’éclairage de l’histoire et de l’actualité, le roman d’Adimi, au-delà des témoignages, enjoint son lecteur à poursuivre le travail de défense et d’illustration de la littérature et des livres.
Philippe Leuckx
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