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Poésie

Poèmes de la mémoire et autres mouvements, Conceiçâo Evaristo (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Mercredi, 04 Septembre 2019. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Poèmes de la mémoire et autres mouvements, mars 2019, trad. portugais (Brésil) Rose Mary Osorio, Pierre Grouix, édition bilingue, 208 pages, 16 € . Ecrivain(s): Conceição Evaristo Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Sachant que « le mystère subsiste au-delà des eaux », la poète, fragmentée de souvenirs, rassemble les pièces de son puzzle, son émotion en continu lui servant de cheminement. Le puzzle, rassemblé, devrait ainsi servir d’exemple à une sorte de permanence collective. En constante germination, les mots oscillent entre le vécu et l’espérance, entre ce qui est dit et ce qu’il faut peut-être deviner d’un monde ressenti en marche malgré une mémoire douloureuse : « Ce certificat de décès, les anciens le savent, a été gravé depuis le temps des négriers ».

Revendiquant sa féminité, chaque femme portant en elle « le calme et le désespoir », l’auteur a pleine conscience de sa participation, aussi par la poésie, à la germination du monde, au déploiement et à la vivacité des partages nonobstant les souvenirs douloureux : « La voix de ma mère/ a fait tout bas écho à la révolte/ au fond des cuisines des autres/ en-dessous des piles/ de linge sale des Blancs/ par le chemin poussiéreux/ menant à la favela/ Ma voix fait encore/ écho aux vers perplexes/ avec des rimes de sang/ et/ de faim », mais l’avenir pointe ses mots : « La résonance se fera entendre/ dans la voix de ma fille/ L’écho de la Vie-liberté ».

Ajours, Miron-C. Izakson (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 27 Août 2019. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Israël

Ajours, Éditions Levant, 2019, trad. Michel Eckhard Elial, Gravure Denis Zimmermann, 58 pages . Ecrivain(s): Miron-C. Izakson

 

« Voici les choses qui retournent à notre premier corps.

Main dans la main elles s’apprennent maintenant,

nous redevenons de tendres cellules

qui n’ont pas encore décidé quel organe servir. (…)

Un cri profond,

le corps d’un homme dans celui d’une femme,

griffure et cascade de pleurs sur le front d’un enfant.

Un homme sur les épaules d’un autre homme

pour franchir ensemble le feu.

Par les routes, Sylvain Prudhomme (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 21 Août 2019. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard, La rentrée littéraire

Par les routes, août 2019, 304 pages, 19 € . Ecrivain(s): Sylvain Prudhomme Edition: Gallimard

 

Le livre des possibles

Ce livre est celui des croisées des chemins. Mais les couper n’implique pas forcément de les suivre. Les rencontres sont souvent fugaces. Mais il arrive qu’à nouveau elles fassent retour, mais à la personne escomptée s’en substitue une autre.

Mais elle vaut tout autant le détour. Si bien que le récit avance par la force de l’amitié comme celle du désir. Il vaque au gré des temps à travers des fêlures qui bombardent le moi. Mais celui-ci se relève. Car tant que la vie est là il n’a pas d’autres choix.

Et Sylvain Prudhomme nous emporte parmi les décombres de ce qui fut exquis et provisoire. Et il fallait peut-être des impasses pour que dans leur fond tout cela respire par-delà le sens concassé.

Des notes s’égouttent ainsi sur le clavier du destin fait de trous entre elles. Restent néanmoins leurs échos. Ils touchent la pulpe du sentir dans les vibrations d’un blues qui monte.

Là d’où elle vient, Patricia Ryckewaert (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Mercredi, 21 Août 2019. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Là d’où elle vient, Bleu d’encre, 2019, poésie, 46 pages, 12 € . Ecrivain(s): Patricia Ryckewaert

 

Elle vient du silence et des ombres portées, suggérant l’appel d’elle-même dans la trace des autres.

Un moment de pause « venu (elle vient) de l’étonnement du jour (et du ciel mouillé comme un chagrin ».

Plutôt que de se contenter de venir, elle partage cette venue qui semble, progressivement, devenir son empreinte digitale, un signe propre d’être : « elle vient des doigts sur la bouche/ et des ailes d’un baiser/ chut ! ».

Elle vient d’entre toutes les femmes, « elle vient d’un voile/ cousu sur la peau/ des doigts de l’obscur/ qui ferme les paupières de l’aube ».

De cette enfance à « craquelures » émane la femme comprise dans tous ses états : « elle vient d’une longue litanie/ de la mer et du vent/ des entailles dans la chair/ et de la ferraille noire d’un cargo ».

Chants, Canti, Giacomo Leopardi (Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 19 Août 2019. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Italie

Chants, Canti, juin 2019, Garnier-Flammarion, édition bilingue, trad. italien Michel Orcel, 352 pages, 10 € . Ecrivain(s): Giacomo Leopardi

 

Les poètes ont-ils tous leur place sur le monument de Dante ? Giacomo Leopardi s’est octroyé la sienne. Jeune homme de santé fragile et d’un talent inouï, Leopardi a construit dans son Zibaldone et ses Canti un système philosophique et poétique qui a influencé toute la littérature et la pensée de son temps, notamment Schopenhauer et Nietzsche. Le second poème de ses Canti, sans doute l’un des plus réussis, intitulé Sur le monument de Dante, pourrait servir de manifeste à toute la poésie lyrique que Leopardi considère comme « la cime, le comble, le sommet de la poésie, qui est elle-même le sommet du discours humain » (Zibaldone).

On pourrait définir le poète comme un homme qui a trop lu Dante. Définition légère, bien peu académique, mais vérifiée dans la première partie des Canti. Les neuf premières canzones, plus ou moins régulières, sont encore classiques et d’inspiration dantesque. Seguitando il mio canto con el suono (Purgatoire, I, 10 : « Suivant mon chant avec cette musique ») : le chant léopardien a débuté comme ça, comme une variation de La Divine Comédie. On retrouve bel et bien, dans les Canti, la « selva oscura » (forêt obscure) du début de l’Enfer, le « veglio solo » (vieillard solitaire) à l’entrée du Purgatoire ainsi que des Béatrice, celle qui ouvre le Paradis (« quand je vis Béatrice, tournée / sur son flanc gauche, regarder le soleil »).