De l’amour et autres, Poésies et Notes, Alain Marc (par Patryck Froissart)
De l’amour et autres, Poésies et Notes, Le Petit Véhicule, coll. L’or du temps, mars 2019, ill. Œuvres de Lawrence, 87 pages, 25 €
Ecrivain(s): Alain MarcAlain Marc et les Editions du Petit Véhicule nous ont habitués à guetter la sortie de leurs superbes publications. Ce nouvel opus du poète amateur d’art, incrusté de magnifiques reproductions de tableaux du peintre picard Lawrence ne décevra pas les afficionados. L’ouvrage est luxueux.
La majeure partie de cette compilation est présentée par l’auteur comme une « recomposition d’une sélection issue d’un premier recueil qui contenait des poésies de facture plus classique », publié en 1989. On y reconnaît l’intention constante d’Alain Marc de se démarquer de toute forme de prosodie contraignante pour inventer une nouvelle expression poétique qui serait sienne exclusivement. Quel est l’aboutissement de ce qui, en fin de compte, constitue en soi, par force, une contrainte de substitution ?
Le recueil comprend deux parties, conformément au titre.
Première partie : De l’amour
Cette partie est précédée d’un texte incantatoire fondé sur la répétition lancinante, exacerbée, sur deux pages, des verbes « aimer » et « je voudrais », ce qui peut se comprendre comme un douloureux aveu de la difficulté d’aimer.
La récurrence multipliée à l’excès de ce cri d’impuissance et de souffrance (rappelons que le CRI est la manifestation obsédante de toute l’œuvre d’Alain Marc) devenant tellement insupportable à la lecture que le lecteur ne peut qu’en ressentir et en partager toute la violence. Si c’est bien là l’intention de tout artiste, le résultat est ici incontestable.
Les textes qui suivent sont à l’avenant de cette thématique. Un pointage rapide du champ lexical met en évidence ce mal d’aimer.
Les mots qui traduisent l’isolement, l’emmurement, l’ennui, le « marasme », la solitude… Les termes « cacher », « voile », « illusion », « rêves », « interdits », « se meurt », « s’en va », « chavire », « divague », « rude », « détour », etc.
La recherche de l’Autre (majuscule traduisant la distance jamais franchie).
La main qui s’est tendue puis qui s’est tue (belle transposition du geste à la parole).
Mon corps qui se dresse
Et qui prend froid
déçu
L’écriture est épurée, dépouillée, réduite à l’essentiel, à l’essence même, éthérisée par un passage forcé dans l’alambic du dessein poétique de l’auteur, débarrassée évidemment de toute descriptivité qui l’alourdirait, mais aussi dévêtue de tout habillage lyrique qui risquerait de brouiller la manifestation du cri.
A quoi bon, d’ailleurs, s’embarrasser d’une esthétique poétique autre que le cri frugal puisque :
Le ROMANTISME n’existe plus :
La société l’a ASSASSINÉ
Ce qui pourrait passer pour la réduction de la poésie à sa plus simple expression est ici une contraction à sa primitive (primordiale ?) et substantielle manifestation.
L’auteur se l’écrit ainsi, en opérant la transsubstantiation du cri de souffrance en matière dure et concrète :
Je ne suis pas peintre
de beauté imaginée
Mais plutôt sculpteur
d’instants de transes
Deuxième partie : Et autres
Cette partie se compose de deux textes plus longs.
Le premier est un hymne à la danse qui unit les corps, un chant à la fête qui fiance les âmes. C’est de la joie, c’est du bonheur qui s’exprime ici, même si les derniers mots resituent brutalement toute la scène dans un passé révolu et replongent le lecteur dans le thème nostalgique de l’amour non partagé et de la fugacité d’un plaisir qui fut et n’est plus :
Parce Que
je
T’aimais
Le second, intitulé Le fil à plume, est une réflexion originale, très réussie, sur l’acte d’autocréation poétique, sur la genèse de l’écriture, symboliquement représentée par l’utilisation tout au long du texte, à la place de la lettre « p », d’un idéogramme stylisant joliment l’image du spermatozoïde. Ainsi la génération fécondée du texte poétique devient-elle immédiatement, visuellement, dans le temps et l’espace de la page une activité perceptible…
Plaisante idée d’artiste en vérité…
Ce beau livre se termine par quelques pages de notes et de « préalables ». Le poète y retrace l’historique des textes, leurs reprises, leurs réécritures, leurs variantes et variations d’une publication à l’autre, les circonstances de leur génération. Voilà un exemple intéressant de métapoétique.
L’ensemble plaira sans aucun doute aux amateurs d’arts littéraire et pictural.
Patryck Froissart
Alain Marc est un poète, écrivain et essayiste français né en 1959 à Beauvais. Il effectue également des lectures publiques. Œuvres principales : Écrire le cri (L’Écarlate, 2000) ; Regards hallucinés (Lanore, 2005) ; La Poitrine étranglée (Le Temps des cerises, 2005) ; Méta/mor/phose ? (1ère impression 2006) ; En regard, sur Bertrand Créac’h (Bernard Dumerchez, 2007/2008) ; Le Monde la vie (Zaporogue, 2010) ; Chroniques pour une poésie publique, précédé de Mais où est la poésie ? (Zaporogue, 2014). Compléments : CD Alain Marc, Laurent Maza, Le Grand cycle de la vie ou l’odyssée humaine (1ère impression Artis Facta, 2014).
De 1991 à 1997, Lawrence fréquente les ateliers de la ville de Paris, l’atelier de dessin de Joël Trolliet, puis l’atelier de peinture d’Olivier Di Pizio et de Gonzalo Belmonte. Bourse d’aide à la création arts plastiques du Conseil régional de Picardie 2014. Atelier d’artiste de la Ville de Beauvais, sept. 2005 à oct. 2006 et juin 2014 à juin 2017. A écrit : Journal d’une peinture amoureuse, récit et poèmes (1èreimpression, 2013).
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