Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, Murielle Compère-Demarcy (par Patryck Froissart)
Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, Editions du Petit Véhicule, décembre 2018, 123 pages, 20 €
Ecrivain(s): Murielle Compère-Demarcy
Luc Vidal est un poète, écrivain et éditeur français originaire du Pays nantais, né le 6 juin 1950. Sur les pas de René Guy Cadou, il a pris de nombreuses initiatives au service de la poésie. Il est ainsi à l’origine de la Maison de la poésie de Nantes et il est le fondateur des éditions du Petit Véhicule dans le cadre desquelles il a créé de nombreuses collections et différentes revues. Citons parmi ces dernières : Signes, Incognita, Les Cahiers Léo Ferré, Les Cahiers Jules Paressant, Les Cahiers René Guy Cadou et de l’école de Rochefort, Chiendents.
Murielle Compère-Demarcy, poétesse elle-même, rédactrice à La Cause Littéraire, délivre une analyse approfondie de l’œuvre poétique de Luc Vidal, dans une superbe édition à quoi sont habitués les lecteurs des publications du Petit Véhicule.
Il est difficile de présenter dans une chronique ce qui est déjà en soi la présentation d’un auteur par une consœur sans en reprendre littéralement l’expression. Nous n’en éviterons pas l’écueil.
Murielle Compère-Demarcy entre dans la poésie de Luc Vidal comme on entre en communion. Il est évident qu’elle la partage, qu’elle la savoure, qu’elle la vit de toute son âme de poétesse, au point qu’elle se l’approprie quasiment, dans une sorte d’osmose permanente, comme si elle la ré-enfantait après en avoir repris la gestation. Il s’agit bien là, sans exagération, d’une ré-génération.
Trois études constituent cet ouvrage, soit autant, pour reprendre le titre, de fenêtres ouvertes sur trois grandes parties de l’œuvre de Luc Vidal, publiées sous le titre global « La Mémoire des Braises » : Orphée du Fleuve ; Le Chagrin et l’Oiseau perdu ; Les Yeux du Crépuscule. Ces trois exégèses sont complétées, en fin de livre, par une longue Lettre à Murielle sur la poésie et son âme, écrite évidemment par Luc Vidal lui-même. L’ensemble donne l’impression de deux poètes œuvrant dans une complicité poétique quasi-fusionnelle.
Luc Vidal, c’est le poète qui défend, tant par la nature de sa poésie que dans ses écrits sur la poésie et dans son projet d’éditeur de recueils et de revues, « une démocratie culturelle authentique […], déclarant son Verbe chair contre le Verbe-marchandise ».
Luc Vidal, c’est le poète qui marche, qui quête, qui traverse le fleuve, « croisant et même poursuivant le chemin d’Orphée et de ses muses – Orphée résolument plutôt que Narcisse ». Le titre Orphée du Fleuve est ainsi signifiant de la (dé)marche du poète.
Luc Vidal, c’est « une poésie au cœur du monde », un monde qu’il embrasse dans une errance orphique, une quête amoureuse de la toujours cherchée toujours trouvée toujours/recherchée, toujours présente absente, une odyssée délire au cours de laquelle les mots préservent l’amant de la folie. La poésie est à la fois la crise permanente et son remède, parce que l’Amour est à la fois désir et révolte contre le désir : l’Amour est risque et ferveur, toujours.
Luc Vidal, c’est le messager oiseau, un oiseau perdu dont le chagrin agite l’aile. La quête amoureuse est portée/transportée par celle des mots. « L’amour et le poème, la poésie et l’amour ne font qu’Un ».
Le Chagrin et l’Oiseau perdu, oui, mais oiseau-poète non plombé par le chagrin, au contraire animé toujours plus haut par le désir d’aimer, par le plaisir d’aimer, par la faculté de voler se perdre dans « la jouissance de la chair ».
Luc Vidal, c’est la Voix qui vient nous rappeler, dans Les Yeux du Crépuscule, « que la Poésie fait notre actualité, qu’Elle fait notre actualité éternelle ; et que nous en sommes si nous le souhaitons, contre vents et marées ».
Luc Vidal, c’est « le Poète crépusculaire », c’est la poésie du Voyage, […] d’un être frontière voyageant entre le monde des ténèbres et le monde de la lumière, entre le monde des Morts et celui des vivants, entre les rives de l’Imaginaire et du Réel… ».
Luc Vidal, c’est « le Poète sans nom [qui] se dépouille des fioritures et tergiversations de la superficialité pour se tourner, essentiellement, vers un Continent neuf, inlassablement refait, de l’Amour rencontré et de la Fraternité retrouvée ».
Luc Vidal, ce pourrait être aussi (car Murielle Compère-Demarcy connaît tellement bien l’œuvre déjà accomplie qu’elle anticipe, extrapole et ouvre plus largement la fenêtre sur celle à venir) « un quatrième volume » qui « répondrait à la question que le lecteur peut se poser en suivant l’itinéraire d’Orphée-Vidal ».
Luc Vidal, c’est le poète qui se définit lui-même, dans Lettre à Murielle sur la poésie et son âme, comme le jardinier du paraclet des mots. Paraclet des mots, para-clé des mots, voilà une sacrément forte définition de la poésie !
Luc Vidal, c’est le poète-peintre dont « certains textes font figure de poèmes-tableaux ».
Luc Vidal, c’est tout cela, c’est l’alchimiste poète-éditeur-chroniqueur qui fait fusionner dans son athanor la poésie (la sienne et celle des autres), la chanson, la musique, la peinture, la science pour en extraire l’or de son Grand Œuvre. C’est ainsi qu’en ouvrant la fenêtre sur la trilogie de Luc Vidal, Murielle Compère-Demarcy, sa commère en poésie, permet au lecteur de rencontrer les poètes René-Guy Cadou, Rimbaud, Nerval, Apollinaire, Vladimir Holan, André Breton, Peret, Desnos, les chanteurs Léo Ferré, Brassens, Julos Beaucarne, Morice Bénin, les peintres Chagall, les scientifiques Yves Coppens et Hubert Reeves, l’illustrateur-peintre-photographe-poète Gilles Bourgeade…
Luc Vidal, c’est bien d’autres choses encore. Mais, comme l’écrit Murielle Compère-Demarcy, dans un post-lude au chant infini des fenêtres, cette fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal « n’a pas la prétention d’en dresser un panorama exhaustif ».
Comme il se doit dans un ouvrage consacré à un poète-peintre, l’opus est magnifiquement illustré de tableaux de Nicolas Désiré-Frisque, de Gilles Bourgeade, d’Athali, de Claude Bugeon, de Jean Claude Kiarkk, de Werewere Liking, de Lucie Jack.
Au terme de cette lecture d’une infinie richesse, il ne reste plus au lecteur évidemment alléché qu’à se hâter de (re)découvrir l’œuvre de Luc Vidal.
Patryck Froissart
Murielle Compère-Demarcy est tombée dans la poésie addictive (ou l’addiction de la poésie), accidentellement. Ne tente plus d’en sortir, depuis. Est tombée dans l’envie sérieuse de publier, seulement à partir de 2014. Rédactrice à La Cause Littéraire, écrit des notes de lecture pour La Revue Littéraire (éd. Léo Scheer), Les Cahiers de Tinbad, Poezibao, Traversées, Sitaudis.fr, Revues en ligne Texture, Zone Critique, Levure Littéraire, Recours au Poème en tant que contributrice régulière.
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