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Poésie

Arches du vent, et Les bois calmés, Pierre Voélin (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 05 Octobre 2020. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fata Morgana

Arches du vent, et Les bois calmés, Pierre Voélin, juillet 2020, dessins Alexandre Hollan (80 pages/15 €, et 64 pages/14 €) Edition: Fata Morgana

 

En mémoire du passé

L’écriture volontairement précieuse et au rythme subtil de Pierre Voélin permet de faire comprendre comment la vie tue au nom du passé – entre autres, de la Shoah. Il s’agit alors d’avancer avec « à la bouche ce goût de solitude /et sur l’épaule un pâle chandail de cendres ». Existe ainsi dans l’œuvre une extraordinaire beauté marmoréenne : « Visage sous le masque – tombe de calcaire où vient battre la lumière criblée //L’amour impur te cherche dans les ruines », preuve que la poésie ne se tient pas hors du « claptrap » (James McNeil Whistler), et refuse l’art pour l’art. Le goût de la ruine n’est là que pour souligner les émotions et devient en quelque sorte le stimulant de la vie.

Étrange, suivi de Onze kaddishim pour Rose, Pierre Maubé (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 02 Octobre 2020. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Étrange, suivi de Onze kaddishim pour Rose, Pierre Maubé, éditions Lieux-Dits, Coll. Les Cahiers du Loup bleu, juillet 2020, 32 pages, 7 €

Dans un double mouvement, ce livre se déploie entre vie et mort, entre mal qui ronge le corps et souffrance terrible imposée brutalement à l’autre. Rose a été tuée, à 97 ans, par un terroriste dans la synagogue de Pittsburgh avec dix autres personnes, pour le seul « motif » d’être née juive : l’horreur radicale, qui remémore tous ces actes nazis et autres !

Étrange, premier volet d’une douzaine de poèmes, incise l’appréhension de la vie, de la douleur, du corps souffrant, dans le double sens du terme : prendre en compte et craindre. Le poème soulage-t-il de la dire cette douleur ressentie au plus nu ? En septains jouant de l’anaphore « étrange vie », le poète dissèque sa « douleur », « mienne » jusqu’au plus dur et incisif du mot : avec l’effort qu’il faut pour baliser la souffrance pour mieux la maîtriser, avec le « ricanement » perçu au plus profond, avec ce lot de déplaisantes manifestations du corps souffrant (vomissement, plainte, « vie maladive », ah ! cette « sœur d’abîme », sublime image d’un soi blessé au cœur de ce corps). Dans une description sans complaisance, le poète se met à la place de tout souffrant, quel qu’il soit, dont il éprouve jusqu’à l’os le malaise de vivre et la lueur qui, quoi qu’on ressente, subsiste, en dépit de tout.

Sèves et chants d’herbes, Delphine Roux (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 24 Septembre 2020. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Sèves et chants d’herbes, Delphine Roux, éd. La Chouette Imprévue, 2019, Ill. couverture, Hélène Héniquez, 68 pages, 14 €

Un bel objet déjà en soi que ce livre qui contient des poèmes de Delphine Roux, poète résidant dans les Hauts-de-France dont elle s’est imprégné des paysages naturels et fait des herbiers des chants entendus dans les prairies, dans les pommiers :

À la cime des syllabes

Tu chantes le vivant

Gazouillis gravité

Bel objet littéraire, écrin de poèmes bucoliques, fabriqué avec le matériau naturel qui lui sied, stylé grâce à une infographie en harmonie avec la sève des chants d’herbes de Delphine Roux qui circulent dans cet arbre poétique augmenté de ses couleurs vert tendre, verts saisonniers, rouge fleur sanguine, pastels des champs céréaliers et des ciels remarquables de Picardie.

Nuit marine, Alain Crozier (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 16 Septembre 2020. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Nuit marine, Alain Crozier, Jacques André éditeur, coll. Poésie XXI, 2019, Préface de Jean-Paul Gavard-Perret, 82 pages, 12 €

 

Cette nuit marine de l’éditeur-poète Alain Crozier se lit comme une histoire d’amour, sur l’air du Tourbillon de la vie de Serge Rezvani interprété par Jeanne Moreau dans Jules et Jim de Truffaut. Toute une ambiance… Une histoire d’amour avec ses aléas, son début (partie I : « Histoires corporelles » / « Elle avait des bagues à chaque doigt… »), avec ses séparations, ses retrouvailles (partie II : « La main passe » / « Au son des banjos je l’ai reconnue… »), ses « Éclats » (partie III / « Quand on s’est retrouvé… »), sa fin (partie IV « Nuit noire » / « Puis on s’est séparé… »). Une ritournelle poétique où les mots tournent autour de l’amour, sans badinage ni sentimentalisme, entre grâce et dérision.

Le poète Alain Crozier fait glisser ses mots sur les vagues d’une nuit marine où l’ambiguïté file sous l’eau et fixe quelques escales au bord de la crique d’amour, « d’une nuit à l’autre », entre rêves et réel, là où les corps se réchauffent, transcendés par une « vision d’Éden » ; fait glisser ses mots sur le laps confus, la ligne de crête, où la confusion des sentiments amoureux (« Mélange de plusieurs sentiments, / Parfois opposés ») le rend marin amateur de ces hauts-fonds qui compliquent la navigation

Aquapoèmes, Laetitia Extrémet (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 10 Septembre 2020. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Aquapoèmes, Laetitia Extrémet, Editions Le Chat Polaire, juin 2020, ill. Sabine Lavaux-Michaëlis, 84 pages, 12 €

 

Comme détachée de la marée à « son corps défendant », l’auteure, un peu druidique, semble donner du sens à la primauté originelle : « il me faudrait alors à l’aube remonter/ dans sa robe d’airain et son écrin cuivré/ cette lumière liquide des soleils du matin/… ».

Se révèle progressivement quelque chose de la Genèse à vouloir se sentir autre ; « alors je crie entre les lignes/ priant qu’on ne m’entende pas/ je n’ai que le silence à offrir/ et l’odeur des orages ».

Le thème marin, depuis certains poètes antiques jusqu’à Saint-John Perse, est universel, le poète niant rarement cette force originelle.

Chez Laetitia, il s’agit cependant d’autre chose, une expression sans doute plus maternelle dans le sens même de se sentir presque liquide amniotique. On peut même dire, je crois, qu’il y a une sorte de privation, d’arrachement avec davantage de force que de regret et aussi une grande certitude :

« J’excelle dans cet exil/ à n’être que d’écume ».