Chair papier, Juliette Brevilliero (par François Baillon)
Chair papier, Juliette Brevilliero, septembre 2020, 96 pages, 12 €
Edition: Editions Galilée
Le titre Chair papier tient la promesse des thèmes abordés dans ce premier recueil de poésie de Juliette Brevilliero, ouvert par le poème La femme livre, un portrait possiblement idéal de la Poétesse dans son sens empirique. L’obsession de la création littéraire et l’obsession des mots qui ne viendront peut-être pas sont mêlées à une sensualité ininterrompue, qu’elle se trouve dans les vocables eux-mêmes ou dans les corps que nous croisons. Car ce qui est physique ne cesse pas d’être marié à ce qui est écrit, à ce qui est lu : la volonté de la poétesse est de troubler (non pas de tromper) son monde en faisant des signifiants et des signifiés son armée, une armée mixée, mais si cela apparaît comme un jeu valable de poète, en aucun cas il ne s’avère gratuit. Cette volonté est l’expression d’une quête, d’un sens à apporter, d’une direction. Les poèmes se boivent ici comme des sensations, où l’on tend à un rapprochement exalté, exceptionnel avec l’autre, où l’on appréhende et accepte les déceptions d’un amour qui avait l’allure du parfait : « Mon cœur veut des mots plus forts / des mots qui impriment le ciel / Que ferons-nous s’ils ont tort ? » ; « mes lettres s’emmêlent aux tiennes / qu’elles foudroient l’infini ».
Juliette Brevilliero est aussi une ensorceleuse « morcelée » qui ne mâche pas ses mots, puisqu’elle sait tirer une poésie de l’Invagination, dire qu’Elles ne mouillent plus et parler du Sexe des anges. On aurait tort d’y voir, là encore, une gratuité dans la provocation, puisque si l’on creuse dans le sillon de son territoire, elle évoque au contraire avec grâce et mélancolie le sentiment de la perte et du manque – la perte de la sensualité pour certaines, le manque d’une identité pour d’autres, que le pouvoir du papier et des mots aux sonorités entrelacées vient épingler.
De ce premier recueil se dégage une cohérence indéniable dans le style et dans les thèmes, une saveur épicée et sucrée à la fois, tous éléments laissant présager d’une recherche d’absolu dans la quête de l’autre, tout comme se voudrait absolu le Verbe dans la quête de soi. La mission est-elle impossible ? « …je suis mal armée / de cette pulpe de fugue, obsédée / dans cette écholalie infinie, aspirée / au cœur spéculaire de l’âme du monde ». Pourtant, les mots ne sont-ils pas salvateurs ?
On attend avec impatience la suite de l’œuvre de Juliette Brevilliero.
François Baillon
Juliette Brevilliero, psychologue, titulaire d’une maîtrise de Lettres Modernes en Sorbonne, écrit depuis toujours et a publié ses premiers poèmes dans la revue Soleils et Cendre. Chair papier est son premier ouvrage.
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