« Cher Antoine. Ou Claude. Ou Alex. Nicolas. Ou Astérix. Ou De Gaulle. J’ai longtemps hésité à t’écrire et cette longue lettre traîne depuis des années dans ma tête comme un cerf-volant épuisé et rabattu entre les parenthèses de deux vents. Comme ces écrivains scrupuleux et obsédés par l’exactitude qui naissent dans ton pays pour en inventorier les nuances, j’en écris souvent des feuillets entiers, virtuellement, avant de les froisser et de continuer ma vie, sans songer à Toi. D’abord, parce que je répugnais à l’effort et ensuite, parce que j’ai lentement compris que cet effort n’était pas une fainéantise qui devait me culpabiliser, mais une raison tout à fait objective : certes nous parlons tous deux le français, mais nous ne partageons pas la même langue. Ou peut-être que nous la partageons, mais pas équitablement : A toi, on t’a donné la langue, la terre qui va avec, une bonne partie de l’Histoire et beaucoup de livres pour le prouver.
A moi, il est échu une langue ni morte ni vivante, ravagée par des trous insonores, des approximations, des particularismes insulaires et une grande dose de solitude due au piège de l’Histoire dont vous avez pris les archives en nous laissant les cimetières.