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La Une CED

Le chant des baleines

Ecrit par Gilles Brancati , le Mercredi, 31 Octobre 2012. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Je me souviens l’avoir vu dans les mains de mon grand-père lorsque j’étais enfant. Personne après lui ne s’en est soucié. Parfois quand l’un de nous posait la question « il est passé où le violon de grand-père ? », maman répondait « je ne sais pas trop ». Elle aurait dit la même chose à propos de sa carabine ou de son arc mais s’agissant du violon elle ajoutait « quel dommage, votre grand-père jouait si bien. Vous savez qu’il avait été sélectionné pour entrer dans l’orchestre d’Olaf Nivel. Mais c’était juste avant la grande guerre et finalement ça ne s’est pas fait ». Bien sûr que nous le savions. Blessé à la main à Verdun il n’avait plus jamais eu la dextérité requise pour faire de la musique un métier. Mais il jouait encore, parfois avec difficulté à cause de son doigt resté raide, mais l’archet glissait bien. Nous étions des enfants et notre jeune âge ne nous a pas permis de goûter le plaisir et le drame que grand-père nouait derrière chaque note. Je le regrette aujourd’hui, assise à même le plancher poussiéreux du grenier. J’ai soufflé plusieurs fois dessus pour ôter la poussière mais je n’ai pas osé passer un chiffon de peur de rayer les volutes du bois. Je suis redescendue prendre un vieux gilet de laine dans une armoire et je l’ai doucement enveloppé, sans serrer, il pourrait avoir des fissures. Il manque l’archet. J’ai fouillé tout autour mais je ne l’ai pas trouvé.

Salah Stétié : une mélodie passionnée des mots (Entretien)

Ecrit par Nadia Agsous , le Dimanche, 28 Octobre 2012. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens

 

Originaire du Liban, « poète des deux rives » d’expression arabe écrivant en français, passeur d’émotions et de mots chargés de sens qui tentent l’élucidation de l’être et de son univers, Salah Stétié, auteur de nombreux ouvrages, traducteur, est incontestablement l’un des majeurs poètes de l’ère contemporaine. A travers l’entretien qui suit, le poète nous invite à nous laisser nous surprendre et nous émouvoir à travers cette parole éclairante qui dit et raconte l’enfance, la terre natale et bien d’autres sujets qui nous permettent de découvrir l’être, le poète et sa conception de la poésie.

 

Nadia Agsous : Vous avez été élevé dans un milieu familial qui vous a initié à la culture poétique et mystique arabo-musulmane. Vous êtes un poète arabe qui écrivez en langue française. Comment expliquez-vous le choix du français comme langue d’expression ?

Le roman battra-t-il le livre religieux ?

Ecrit par Amin Zaoui , le Mercredi, 24 Octobre 2012. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

Souffles... (In "Liberté")

 

Pourquoi est-ce que le lecteur algérien se réconcilie, de plus en plus, avec le roman ? Un nouveau vent souffle dans le ciel des amies et des amis des lettres.

Appuyé sur les restes de quelques traditions de la classe moyenne, le roman algérien en langue française a un certain lectorat. Ainsi, dans le milieu de ce groupe socioculturel, même modeste, le roman constitue une sorte d’attente littéraire, une curiosité intellectuelle. Mais ce qui est nouveau et remarquable, ces derniers temps, c’est ce bon accueil réservé au roman algérien de langue arabe. Cette lecture arabophone montante d’un côté, s’est vue suivie d’une chute de la lecture du livre religieux propagandiste de l’autre côté. Sociologiquement parlant ce comportement livresque est un phénomène historique. La vérité est dans le roman. La vérité littéraire est philosophique, si vérité y existe. Si la vérité mensongère du roman est libératrice pour l’imaginaire, la vérité historique est proportionnelle et moralisante. Parce que le livre historique proposé à nos lecteurs, dans nos écoles et dans nos universités, n’est que le miroir renvoyant l’image de l’idéologie dominante du système depuis cinquante ans, les Algériens se libèrent dans le roman. Se réfugient, de plus en plus, dans le bon roman.

La poésie et les notes d'Antoine Émaz : au plus près (2/2)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Samedi, 20 Octobre 2012. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

 

C’est l’une des grandes forces des notes d’Émaz que d’articuler, avec beaucoup de nudité (mais nudité ne veut pas dire absence de pudeur), – en réservant quantité de marges, là où s’avance le dire –, la présence d’un être au monde.

Dans la souffrance de la peur qui tord les boyaux et donne envie de vomir sans qu’il soit possible de le faire comme dans l’atonie paisible d’un regard complètement fixe posé longtemps sur des fleurs qui, elles, ne le sont pas, tressautant légèrement dans le vent.

Dans l’immobilité pensive, parcourue par les traînées nuageuses éparses de la pensée, d’une conscience dans une cuisine, ciel surplombant une nappe.

Si Émaz s’affirme incontestablement comme un auteur majeur de ce siècle naissant, l’un des plus grands poètes, c’est parce qu’il ne triche jamais, ni avec le langage, ni avec lui-même.

L’on est ainsi, en tant que lecteur, face à des livres bruts (mais extraordinairement travaillés, jusque dans leur structure, dans le réseau de tensions qu’ils instaurent en leur sein ; l’un n’exclut pas l’autre) qui questionnent notre rapport au monde, et, en le questionnant, le réinventent.

Sinisgalli ou le poème panthéiste

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 15 Octobre 2012. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

J’ai vu les Muses, Leonardo Sinisgalli, traduit de l’italien par Jean-Yves Masson, Editions Arfuyen, Paris-Orbey, 2007

 

Il est difficile d’écrire à partir de ce très beau livre, traduit de l’italien par Jean-Yves Masson, sans choisir un point de vue, une orientation. Car le poème lui-même, ou plutôt la possibilité du chant poétique, le parcours de la langue du poème – que le traducteur respecte de très près – résistent et, si je peux dire, vont vers la vérité de cette langue, vers la vérité qui se cache, comme le motif dans le tapis, dans l’essence de ce qu’est la parole poétique.

D’autre part, le livre recouvre dix années du travail du poète, de 1931 à 1942, avec une sorte de constance, de lyrisme où, ni l’effet de vers tels que : Le cœur émerveillé/ J’ai interrogé mon cœur émerveillé/ J’ai dit à mon cœur la merveille, qui sont comme une aigrette verbale, un salto, depuis quoi l’effet ne se dilapide pas, ni le mélange habile des affaires des jours et celles de la métaphysique, n’épuisent l’impression de ravissement de l’ouvrage. Il y a, si je puis dire, un peu, voire beaucoup de sens et signification accumulés et qui portent très haut le livre – qui d’ailleurs vont bien à J.-Y. Masson, me semble-t-il, à cause d’un soin identique pour sa propre poésie.