Il serait bien présomptueux de faire la critique globale du monument littéraire qu’est le court roman Au cœur des Ténèbres de Joseph Conrad. Lectures analytiques, thèses, articles, cours d’université, tout a été dit et écrit sur ce chef-d’œuvre de la littérature. Il est cité régulièrement parmi les plus grands livres de tous les temps – et ô combien à juste titre.
C’est un monument érigé à la condition humaine, sa détresse, sa folie, sa pathétique démesure condamnée à l’échec, à la mort. L’expédition racontée par le capitaine Charles Marlow, la remontée du fleuve Congo (jamais cité d’ailleurs) sur un rafiot rafistolé et bringuebalant, prend, au fur et à mesure de l’avancée dans la jungle primitive, l’allure d’un voyage en Enfer. La chaleur, l’air étouffant, les moustiques, les sons terrifiants venant des rives – le son prend une place centrale dans tous les romans de Conrad – font du fleuve une sorte de Styx bordé d’une verdure aussi impénétrable qu’angoissante. La nature ici est un temple de mort, de décomposition.