Watership Down, Richard Adams (par Ivanne Rialland)
Watership Down, Richard Adams, juin 2020, trad. anglais Pierre Clinquart, 544 pages, 12,50 €
Edition: Monsieur Toussaint Louverture
Le roman de Richard Adams, revêtu par Monsieur Toussaint Louverture pour cette réédition d’une élégante jaquette métallisée verte et blanche, s’ouvre sur une carte de Watership Down qui donne d’emblée le ton : c’est une épopée au ras de l’herbe que nous proposent les aventures des lapins Fyveer, Hazel et Bigwig – pour ne citer que les plus marquants de ces personnages aux longues oreilles. Cette carte – qui évoque les codes de l’heroic fantasy –, les citations empruntées à Eschyle, Tennyson, à la Bible, à l’épopée de Gilgamesh pourraient suggérer un contraste plaisant entre les grandes orgues épiques qu’elles convoquent et les exploits de ces petits héros en fourrure. Mais ce serait sans aucun doute mal lire le roman de Richard Adams qui, par-là, nous indique au contraire la juste réception de ces aventures vécues au travers des champs et des prés : les lapins de Watership Down, pas plus que les elfes et les nains de Tolkien, ne doivent être cantonnés au domaine de la littérature enfantine. Ils appartiennent à un espace imaginaire qu’adultes et enfants peuvent pleinement partager. C’est dire aussi qu’il ne s’agit pas d’abord de chercher dans ce roman la satire, ou d’y voir le voile d’une fable politique – même si de politique il est bien question dans Watership Down : les personnages, le monde décrit, les obstacles rencontrés y ont une richesse et une saveur qui n’exigent pas l’adjuvant de l’interprétation pour les goûter.
Si les lapins sont par excellence des personnages d’albums enfantins, Fyveer et Hazel font vite oublier les lapins de Disney : ces lapins-ci sont vraiment lapiniques, si l’on peut dire. Richard Adams, s’appuyant sur les mœurs des véritables lapins, bâtit les péripéties à la mesure de ses héros et selon leur point de vue, esquissant une vision du monde, un langage, une mythologie. Les héros sont ainsi montrés entourés de vilou, menacés par leur manque d’imagination, leur caractère peureux, qui peut les rendre sfaar – immobilisés par l’angoisse. Au fond des terriers se racontent les légendes et les mythes du peuple lapin, dominés par la figure héroïque du rusé Compère lapin, Shraavilshâ. L’ethnographie se fait même subtile, lorsqu’au fil des légendes racontées par le lapin Dandelion et des aventures d’Hazel et de ses compagnons, on perçoit le caractère très contemporain de ces mythes, où s’opèrent la transfiguration du quotidien des lapins et des épisodes même du roman. Est de la sorte suggérée une perception du temps étrangère à la nôtre, intriquant une profondeur légendaire et la brièveté des vies de ces petits mammifères. Le roman de Richard Adams, qui au fil des chapitres et de la rencontre des héros avec d’autres communautés de lapins prend une véritable dimension politique, est aussi plus largement une leçon d’estrangement, de décentrement par rapport à un point de vue strictement humain sur les paysages et les territoires, se révélant, sans rien de la platitude moralisatrice des fables animalières, une lecture profondément salubre en ces temps troublés.
Ivanne Rialland
Richard Adams (1920-2016), est un écrivain britannique. Watership Down, son premier roman, paru en 1972, est un immense succès mondial, notamment récompensé de la médaille Carnegie. Son deuxième roman, Les Chiens de la peste (1977), est aussi traduit en français, comme quelques-uns de ses autres livres – romans, albums pour enfants, essais.
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