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Iles britanniques

Le Chant du prophète, Paul Lynch (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 19 Février 2025. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel, En Vitrine, Cette semaine

Le Chant du prophète, Paul Lynch, Albin Michel, janvier 2025, trad. anglais (Irlande), Marina Boraso, 293 pages, 22,90 € . Ecrivain(s): Paul Lynch Edition: Albin Michel

 

Souvent – à la suite d’une métaphore brechtienne – les pouvoirs totalitaires sont comparés à une bête immonde. Ce roman de Paul Lynch prend à la lettre cette incarnation et, dans une dystopie terrifiante, la Bête s’introduit, rampe, progresse, envahit, étouffe. Nulle considération idéologique, nulle référence historique, nulle analyse des processus de l’installation du totalitarisme. Paul Lynch laisse visiblement cela aux experts, politologues ou historiens. Seule l’intéresse la tête d’une femme, espace intérieur dans lequel l’ordre nouveau va balayer l’ancien, construire ses règles, inventer ses syntagmes, sans scrupules, sans le moindre égard pour ceux qui vont subir. La tête d’Eilish Stack devient le théâtre horrifique de l’événement qui frappe l’Irlande, du coup d’Etat qui prend ses citoyens en otages et les écrase lentement, comme un serpent constrictor dans ses nœuds.

Rome sous la pluie (Beard’s Roman Women), Anthony Burgess (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 05 Février 2025. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, En Vitrine, La Découverte, Cette semaine

Rome sous la pluie (Beard’s Roman Women), Anthony Burgess, Editions La Découverte, trad. anglais, Georges Belmont, Hortense Chabrier, 165 pages Edition: La Découverte

 

Loin, très loin des amateurs de cartes postales. La Rome de Burgess est désespérante, inondée de pluies continuelles, sombre, peuplée de personnages douteux et de fous dangereux. Beard, le héros du roman, y trace une route erratique dans les ruelles du Trastevere et dans les abysses de sa vie personnelle. Leonora, sa femme, y meurt dans les premières pages de cirrhose du foie, ouvrant sous ses pas le gouffre d’une dérive incontrôlable. Enfin, il paraît qu’elle meurt, ce qui semble contredit par les coups de téléphone et les messages qu’il reçoit d’elle.

Burgess est un écrivain de la démesure, on le sait avec Orange Mécanique et Les puissances des ténèbres. Le souffle rabelaisien qui anime ses personnages emporte tout sur son passage. La Rome baroque fait écrin à ce roman qui ne l’est pas moins, une Rome disséquée, photographiée (en biais), détestée, injuriée et… grande parce que folle comme les fous du roman.

Du fil à retordre, Michelle Gallen (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mardi, 04 Février 2025. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Joelle Losfeld

Du fil à retordre, Michelle Gallen, éditions Joëlle Losfeld, janvier 2025, trad. anglais (Irlande), Carine Chichereau, 352 pages, 25 € Edition: Joelle Losfeld

 

Une histoire irlandaise

Dans son nouveau roman, Du fil à retordre (Factory Girls), Michelle Gallen campe le portrait de Maeve, née en 1994 dans une petite ville de l’Irlande du Nord, qui s’exprime dans un idiome populaire anglo-irlandais, lequel forme une sorte de sociolecte qui permet de combattre l’anglais institutionnel. Le ton enlevé, revanchard mais spirituel est émaillé de propos non dénués d’humour (noir) permettant à la jeune fille de résister, de braver l’altérité, l’adversité (…) « ça lui foutait la gerbe de la voir fringuée comme ça, avec sa jupe droite beige et son chemisier en dentelle couleur crème. Putain, un chemisier ! Sûr que c’était sa mère qui l’avait habillée ». Brutalité rime avec précarité dans cet univers très dur. Le problème irlandais est évoqué sans ambages : « Et les frontières, ça a besoin de soldats. Plus y sont jeunes, plus y sont naïfs. C’est pour ça que les Rosbifs filent des armes à des gamins. L’IRA fait pareil. Parce que ça marche ».

Grimus, Salman Rushdie (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 23 Janvier 2025. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Grimus, Salman Rushdie, Gallimard Folio, 2023, trad. anglais, Maud Perrin, 471 pages, 9,40 € . Ecrivain(s): Salman Rushdie Edition: Folio (Gallimard)

 

Ce premier livre de Salman Rushdie, publié en 1977 et passé, inexplicablement, totalement inaperçu, a été traduit en français et édité chez Gallimard en août 2023.

Grimus est un roman torrent, un récit d’aventures au cours… aventureux, un écrit délire, un voyage onirique, une traversée du miroir, une transgression, un parcours aléatoire, une succession de sauts, sursauts, bonds et rebonds narratifs, un texte à tiroirs dont on cherche souvent, parfois vainement mais ceci participe de l’enchantement, les clés, et globalement un étourdissant mélange des genres. A la rigueur, si on veut absolument se hasarder à l’enfermer dans une typologie formelle, on peut considérer que l’ensemble des pérégrinations, péripéties, aventures et mésaventures dans lesquelles l’auteur ballotte le héros s’apparente à une épopée individuelle ou, si l’on veut, à une trajectoire odysséenne à quoi manquerait toutefois une Pénélope attendant le retour du voyageur.

La Tempête (The Tempest), William Shakespeare (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 27 Novembre 2024. , dans Iles britanniques, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Théâtre, Les Belles Lettres

La Tempête (The Tempest), William Shakespeare, Les Belles-Lettres, 2023, nouvelle trad. Éric Sarner, édition bilingue de Florient Azoulay, Yan Brailowsky, 268 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): William Shakespeare Edition: Les Belles Lettres

« Quoi de neuf ? – Shakespeare ! ». Derrière la formule facile pour journaliste en manque d’inspiration se cache une réalité profonde : la capacité de Shakespeare à s’adresser aux lecteurs de tous les pays et toutes les époques : Shakespeare for All Time, suivant le titre du beau livre de Stanley Wells, même s’il faut admettre qu’une partie de son théâtre (les pièces historiques) demeure peu lue hors d’Angleterre et même si, inexorablement, le temps fait son œuvre et éloigne la « culture » des Modernes de celle que déployait le dramaturge dans ses œuvres (on y reviendra).

Autant qu’on puisse le savoir avec certitude, La Tempête est probablement la dernière pièce qu’il écrivit seul, vers 1610-1611, avant son énigmatique retrait à Stratford. De manière curieuse, cette ultime pièce qui ne ressemble à aucune autre ouvre l’édition in-folio de son théâtre, publiée en 1623. De nombreuses théories, allant de la reconstruction à peu près vraisemblable au délire intégral, ont prétendu résoudre le « mystère » Shakespeare, si mystère il y a. Comme toute œuvre baroque, et au fond peut-être comme toute œuvre littéraire, La Tempête est à la fois la somme de plusieurs sources livresques et un ensemble qui dépasse cette somme :