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Critiques

Étude d’éloignement, Emmanuel Moses (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 30 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Étude d’éloignement, Emmanuel Moses, Gallimard, mai 2023, 80 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Emmanuel Moses Edition: Gallimard

 

Une quarantaine de livres à ce jour, dont vingt-deux livres de poésie. Voici le dernier, assez bref mais dont la densité révèle des aspects nouveaux, comme ce retrait pour mieux voir, comme si une focale du poète permettait ainsi de mieux traiter tout objet, tout sujet. Faut-il s’écarter du chemin pour mieux saisir le côté complexe du monde ? Faut-il à ce point s’éloigner, au risque de perdre ce que l’on aime ?

Le poète Moses dont j’avais aimé plusieurs livres (Quatuor ; Cette lumière dans cette obscurité ; Monsieur Néant) s’attache à analyser son rapport au réel, entre mentions intimes et aspects fictionnels. D’une fenêtre, d’un surplomb, il suit l’avancée de personnages qu’il s’attribue ou non, « hôtes de passage », « souvenirs et notes » d’un génie musical, « de la fenêtre de ma cellule ». Même « Monsieur Néant » est du voyage : petit blason de référence et autocitation de son auteur.

Flamboyants au crépuscule, Christian Dufourquet (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 29 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Editions Maurice Nadeau

Flamboyants au crépuscule, Christian Dufourquet, Editions Maurice Nadeau, Les Lettres Nouvelles, mai 2023, 110 pages, 16 € Edition: Editions Maurice Nadeau

Un homme, dont on apprend en suite de lecture qu’il est écrivain, allongé, sur un lit : telle est la position initiale du narrateur qui se dédouble en un IL qu’il met en scène dans la rétrospection, par une succession d’analepses dénuées d’ordre chronologique, de ce qui lui revient aléatoirement, de façon décousue, des moments les plus signifiants du cours de sa vie, flamboyants au crépuscule. Il gît là immobile, plausiblement incapable de bouger, sauf peut-être pour écrire, transcrire ce que perçoit son esprit seul pouvant se mouvoir au travers de l’espace et du temps. On appréhende qu’il plane entre la vie et la mort.

Il ouvre les yeux et se voit coincé à mi-hauteur d’une échelle qui paraît s’agrandir dans les deux directions. En haut, un plafond démesurément étréci où pend peut-être une ampoule à atteindre. En bas, un monde d’ombres qui se chevauchent, les vagues d’une mer irréelle. Et lui, au milieu ou à peu près, un insecte à la carapace chitineuse, qui se demande, si tant est que ses antennes recroquevillées autour de son corps embrumé lui procurent une conscience a minima de son environnement, ce qu’il fait là, en suspens entre deux mondes…

Nevernight, Tome 1, N’oublie jamais, Jay Kristoff (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 28 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, Science-fiction, La Une Livres, Roman

Nevernight, Tome 1, N’oublie jamais, Jay Kristoff, éditions J’ai Lu, Flammarion, octobre 2022, 784 pages, 10,50 € ; Tome 2, Les grands jeux, mars 2023, trad. anglais (Australie) Sébastien Guillot, mars 2023, 800 pages, 11 €

 

Une formule permet de comprendre le succès mondial de la série de fantasy Nevernight : redoutablement efficace. Rien à redire : l’Australien Jay Kristoff mène son récit tambour battant, tient le lecteur en haleine (même si le lecteur aguerri sait plus ou moins dans quelle direction se dirige l’histoire), joue du rebondissement, de l’alternance parfaite entre scènes violentes et profondeurs (voire ténèbres) psychologiques, le tout parsemé de considérations oscillant entre religion et politique d’un univers spécifique aux multiples contrées et mœurs, d’un rien de désir sexuel connaissant son apogée en une poignée de scènes explicites, et de notes humoristiques noires au possible. Nevernight, à l’image de son héroïne Mia Corvere, est une machine de guerre destinée à vaincre les réticences de tout amateur de fantasy, qui se retrouve à tourner les pages de façon quasi frénétique.

Les tortues, Loys Masson (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 27 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, En Vitrine

Les tortues, Loys Masson (1956), L’Arbre Vengeur, 2021, 302 pages, 17 €

 

Nous avons, généralement, un regard amical sur les tortues, animaux paisibles, dont la lenteur semble évoquer la sagesse. Le narrateur de ce roman leur voue une haine mortelle, jusqu’à les écraser quand l’occasion se présente, voire les torturer savamment avant de les achever. L’histoire que raconte ce roman éclaire sur cette étrange passion sombre, héritée d’un souvenir d’enfance effrayant.

Le narrateur n’aura pas de nom, comme dans un contrepied parfait du célèbre incipit du roman de Melville qui hante les pages de celui-ci – Appelez-moi Ishmael. Mais comme Ishmael, c’est un jeune marin qui va s’embarquer pour un voyage terrible, dans les pas d’un commandant qui a bien des traits communs avec Achab et d’un compagnon de chambrée qui semble droit descendu de Queequeg. L’ombre de Melville, inévitable, une fois dite, il reste un roman époustouflant, dont l’économie narrative et la poétique particulière font un roman unique, terrible et précieux. Le Diable melvillois était hors du Pequod, dans l’abîme de l’Océan ; celui de Masson est dans La Rose de Mahé, niché dans le sang et la chair des hommes, dans l’abîme des corps. Au gigantisme de la Baleine Blanche, Masson répond par la taille microscopique d’un virus, celui de la variole installée aux Seychelles

Autobiographie, Charles Darwin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 26 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Biographie, Editions Honoré Champion

Autobiographie, Charles Darwin, éd. Honoré-Champion, octobre 2022 (édition par Nora Barlow, rétablissant les passages supprimés de la publication originale), trad. Aurélie Godet, Michel Prum, Patrick Tort, 296 pages, 19 € Edition: Editions Honoré Champion

 

Oublié aujourd’hui, Ernst von Hesse-Wartegg (1851-1918) fut un ingénieur et voyageur autrichien qui semblait sortir d’un roman de Jules Verne. À peine âgé de vingt-quatre ans, il avait déjà publié un livre sur les machines-outils et un autre sur la faisabilité technique d’un tunnel sous la Manche. En 1875, il communiqua à Charles Darwin une recension d’un de ses ouvrages en le priant de bien vouloir lui faire parvenir une esquisse biographique destinée à paraître dans un journal allemand.

La requête du jeune ingénieur dut consonner avec les préoccupations propres de Darwin, alors sexagénaire, qui se mit à rédiger une autobiographie dont les dimensions dépassèrent vite l’espace éditorial initialement alloué par Hesse-Wartegg (deux colonnes d’un quotidien comme le Times). Darwin écrivit de mai à août 1876 et ne cessa ensuite d’enrichir son manuscrit, qui ne sera publié qu’en 1887, cinq ans après que le grand naturaliste eut été inhumé en l’abbaye de Westminster, comme toutes les gloires de Grande-Bretagne (Shakespeare excepté).