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Critiques

Les Deux Corps du roi, Ernst Kantorowicz (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mercredi, 11 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Folio (Gallimard), Histoire

Les Deux Corps du roi, Ernst Kantorowicz, janvier 2020, trad. Jean-Philippe et Nicole Genet, 898 pages, 9 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Ernst Kantorowicz nous livre, dans cet ouvrage dense et érudit, une brillante analyse sur l’évolution de la fonction royale, à la croisée des sciences politiques et théologique. Sa recherche est née des Rapports de Plowden, écrits et rassemblés au XVIe siècle, sous le règne de la reine Elisabeth I : « Car le Roi a en lui deux Corps, c’est-à-dire un Corps naturel et un Corps politique. Son Corps naturel, considéré en lui-même, est un Corps mortel, sujet à toutes les infirmités qui surviennent par Nature ou Accident […] Mais son Corps politique est un corps qui ne peut être vu ni touché, consistant en une société politique et en un gouvernement […] et ce Corps est entièrement dépourvu d’Enfance, de Vieillesse, et de tous autres faiblesses et défauts naturels […] ».

On note ainsi un passage du réalisme au nominalisme : la matière se transfère au nom, au symbole. Selon Kantorowicz, La Tragédie du roi Richard II de William Shakespeare est la tragédie qui représente le mieux les Deux Corps du Roi : on y observe une alternance du corps légal du roi et de son corps naturel, faible et blessé.

Diadorim, João Guimãraes Rosa (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 10 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Le Livre de Poche

Diadorim (Grande Sertão : Veredas, 1956), João Guimãraes Rosa, trad. portugais (Brésil) Maryvonne Lapouge-Pettorelli, 924 pages, 9,90 € Edition: Le Livre de Poche

 

Le Sertão, ravagé par la guerre des jagunços, est la niche même du Diable – celui-qui-n’existe-pas – qui s’y adonne à cœur-joie à la sauvagerie la plus terrifiante, aux limites de ce que les humains sont capables de produire dans l’horreur – tout en sachant que ces limites peuvent toujours être repoussées et elles l’ont été à maintes reprises depuis la Guerre de Canudos qui finissait le siècle XIX et annonçait l’immonde siècle XX. Ce roman entier se construit sur l’attente de la Fin du Monde. Le monologue de Riobaldo, sur plus de 900 pages, entre d’emblée dans les plus grands moments de la littérature, aux côtés de Absalom ! Absalom ! de Look Homeward, Angel, ou de Nostromo. C’est un déluge de mots, racontés à un auditeur qui restera mystérieux jusqu’au bout. Plonger dans le flot du monologue de Riobaldo, long de plus de 900 pages, est un voyage au bout de l’Enfer que les hommes, ses meilleurs artisans, sont capables de construire.

Fanny et le mystère de la forêt en deuil, Rune Christiansen (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mardi, 10 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Editions Noir sur Blanc

Fanny et le mystère de la forêt en deuil, Rune Christiansen, janvier 2020, trad. norvégien Céline Romand-Monnier, 240 pages, 19 € Edition: Editions Noir sur Blanc

C’est presque en conteur que Rune Christiansen s’adresse à son lecteur : « Permettez-moi de vous raconter une histoire », écrit-il – et nous permettons bien volontiers, quoique cette formule rhétorique, à la courtoisie désuète et avenante, puisse paraître un tantinet artificielle.

Cette histoire, c’est celle de Fanny, dont la vie est bouleversée par un événement aussi banal qu’éprouvant : à dix-sept ans, un accident de voiture la prive de ses parents. Malgré son jeune âge, elle est autorisée à demeurer dans la maison de son enfance, seule. Le récit semble commencer quelques mois plus tard, un matin, quand un vent violent la réveille et qu’a lieu une rencontre étrange et initiatique. Un cerf, « l’esprit de la forêt », est monté jusqu’à sa chambre à son insu et d’une façon inexplicable. Il finit par sauter par la fenêtre et s’écrase sur le sol. D’un coup de hache ferme et sûr, Fanny expulse de son corps brisé ce qu’il y reste de vie. Rien ne change, pourtant, et c’est seulement plus tard, pendant la dernière année de lycée, qu’un cycle nouveau s’initie : la jeune fille est réveillée par de brusques bourrasques qui semblent annoncer le terme du temps « laborieux et en suspens » où elle languissait.

La septième croix, Anna Seghers (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Mardi, 10 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Métailié

La septième croix, Anna Seghers, janvier 2020, trad. allemand Françoise Toraille, 440 pages, 22 € Edition: Métailié

 

C’est dans la septième année de son exil en France qu’Anna Seghers entame la rédaction de ce roman. Les bottes allemandes battent le pavé de Paris quand elle l’achève en décembre 1939. Son éditeur se trouve alors à New-York.

Recherchée par la Gestapo, elle gagne la zone libre, puis le Mexique.

Traduit en anglais, La Septième Croix paraît aux États-Unis en 1942. Il est porté à l’écran à Hollywood par Fred Zinnemann, avec Spencer Tracy dans le rôle principal. Un club de lecture en assure un tirage de masse et il est distribué aux troupes américaines.

Nous sommes à Westhofen en Rhénanie. Il y a là un camp de concentration. Sept prisonniers viennent de s’évader. Nous allons les suivre. Eux et les gens qu’ils ont connus : « Au début du mois d’octobre, un certain Franz Marnet quittait à bicyclette… ».

Tout ce qu’elle croit, Anne Lauricella (par Christelle d'Hérart-Brocard)

, le Lundi, 09 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Buchet-Chastel

Tout ce qu’elle croit, Anne Lauricella, février 2020, 288 pages, 18 € Edition: Buchet-Chastel

 

Qu’elle se dissimule derrière une narration à la troisième personne partiellement déponctuée, qu’elle donne la parole au « je » de l’enfant candide qu’elle n’est plus ou encore qu’elle recoure aux meubles, aux objets, aux choses pour témoigner d’un temps heureux et innocent, une seule et unique voix se dégage de ce récit à fleur d’âme, celle de la femme qui, affreusement, souffre et cherche, sinon à se reconstruire, du moins à contenir le mal qui la ronge et à en saisir le point de bascule. Car c’est bien là, à ce point de non-retour, que se situe toute l’intrigue : qu’a-t-il bien pu se passer et quand ?

La première partie du roman laisse entendre qu’un drame familial a eu lieu entre l’enfance et l’adolescence. Très vite, on comprend que le père, l’idolâtré, a trahi la confiance inconditionnelle de sa fille, a piétiné ses croyances virginales et laminé les fondements nécessaires à son épanouissement. Devenue femme, l’enfant chérie, modèle, promise à un brillant avenir, vit dans le dénuement à tout point de vue. Totalement instable, elle se trouve dans l’incapacité de créer du lien social. Père et mère lui ont tourné le dos.