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Critiques

Emportée, suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer, Paule du Bouchet (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 16 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Emportée, suivi d’une correspondance de Tina Jolas et Carmen Meyer, mars 2020, 128 pages, 14 € . Ecrivain(s): Paule du Bouchet Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Le livre de la mère

Paule du Bouchet écrit « les détours inouïs » de la vie douloureuse et lumineuse de Tina Jolas, sa mère. « Emportée » par son amour passion pour René Char, cette femme (aimée par sa fille) la quitte lorsqu’elle a 6 ans.

Sous forme de carnet intime où s’intercalent des fragments d’une correspondance échangée entre la mère et son amie Carmen Meyer, le texte met en jeu des séquences de vie bouleversées entre plusieurs subjectivités et enjeux de vérité. L’auteur évite toute polémique ou indiscrétion. Même lorsque René Char abandonna celle qui éprouva pour lui sa grande passion amoureuse. D’ailleurs son agonie commença lors du décès du poète.

Paule du Bouchet endura sans recours les départs et les disparitions de sa mère. Elle reste – contrairement à Betsy, sa sœur – une inconnue pour le grand public. Pour René Char, elle rédigea néanmoins une partie de l’appareil critique de l’édition de la Pléiade. Et elle connaissait admirablement Ossip Mandelstam, Emily Dickinson et William Shakespeare et traduisit plusieurs tomes du Seigneur des anneaux de Tolkien.

Terre brûlée, Paula Vézac (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 16 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Le Rouergue

Terre brûlée, Paula Vézac, janvier 2020, 208 pages, 18,80 € Edition: Le Rouergue

 

La narratrice et auteure (elle insère de vraies photos de famille dans son récit) revient sur le décès accidentel de sa mère. Elle s’effondre, pleure à chaudes larmes, sans retenue ni pudeur. La douleur abyssale de la perte motive, à elle seule, la prostration et l’anéantissement. Mais très vite, on comprend que sa souffrance ne relève pas seulement du manque et de l’absence de l’être cher, irremplaçable, mais plus encore, d’un sentiment de culpabilité qui, de longue date, a sapé les fondements de l’amour filial. Assurément, la femme handicapée de soixante-et-un an, retrouvée morte asphyxiée dans son appartement, fut une très mauvaise mère : prostituée, alcoolique, droguée et souffrant de troubles mentaux, elle n’a pas pu, durant sa vie, offrir un cadre de vie décente et bienveillante à sa fille unique. Cette dernière, en toute légitimité, s’est donc non seulement éloignée de la toxicité maternelle mais a développé un sentiment de vive rancœur et même de haine à l’égard de celle qui n’a jamais su la protéger de sa violence résiduelle, à la fois physique et psychologique.

La Petite apocalypse, Tadeusz Konwicki (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 13 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman, Editions du Typhon

La Petite apocalypse (Mala apokalipsa, 1979), Tadeusz Konwicki, février 2020, trad. polonais, Zofia Bobowicz, 328 pages, 18,90 € Edition: Editions du Typhon

 

Quand on boit beaucoup, c’est souvent le lendemain que c’est le plus difficile. « Une cigarette à jeun n’arrange certainement pas la santé, mais cent grammes de vodka par-dessus, c’est la mort certaine. Après tout, ce ne serait pas plus mal » (p.33). Le narrateur est en pleine déprime, il fume cigarette sur cigarette, boit de l’alcool plus que de raison. D’ailleurs, le matin où l’on fait sa rencontre, il se réveille avec une sévère gueule de bois. Il est aussi écrivain qui a eu un jour du succès, mais ça fait un moment qu’il n’a pas écrit une seule ligne. Ce matin-là, il n’a pas le temps de récupérer ses esprits que deux de ses amis viennent chez lui. Ils lui font une étrange proposition. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait une proposition, mais plutôt un commandement : « Que ce soir, à huit heures précises, tu te fasses brûler vif devant le comité central du Parti ».

Le narrateur est d’abord un peu incrédule, mais se laisse très (trop ?) vite convaincre. Son spectaculaire sacrifice pourra contribuer à saper le régime, expliquent ses comparses. Et pas n’importe quel régime, mais le régime communiste polonais, sous domination soviétique, quelques années avant la montée en puissance de Solidarnosc.

Pierre, Christian Bobin (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 13 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Pierre, octobre 2019, 96 pages, 14 € . Ecrivain(s): Christian Bobin Edition: Gallimard

 

Une virgule est inévitablement collée au dernier signe du mot qui la précède, créant un espace-mot, sécable ou non sécable, c’est selon.

« Pierre, », c’est d’abord une virgule. Incisive, précise. Une mobilité de pensée. Une expérience de création. Deux expériences de création réunies. « Pierre, », ce sont tous les mots que l’on peut écrire, seulement après une virgule, les mots dédiés à un ami, tous les mots qui traduisent le lien, trahissent l’absence, transmettent l’amour.

On se souvient alors d’exemples éloquents d’amitié, entre Deleuze et Bacon, Foucault et Magritte, Mallarmé et Manet, Badiou et Soulages. Ici, Bobin et Pierre.

« Je cherche le surgissement d’une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions ».

Le Consentement, Vanessa Springora (par Mona)

Ecrit par Mona , le Jeudi, 12 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Grasset

Le Consentement, Vanessa Springora, janvier 2020, 206 pages, 18 € Edition: Grasset

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait un livre.

Le « séduisant G », écrivain presque quinquagénaire, est addict (« une forme d’addiction incontrôlable ») aux moins de seize ans, et la jeune fille de 14 ans en mal d’amour a une « soif de junkie qui ne regarde pas à la qualité du produit ». L’histoire de Vanessa Springora peut commencer, « les conditions sont maintenant réunies ». Le début ressemble à une histoire romanesque à souhait : cour assidue, échanges épistolaires sous le signe des liaisons dangereuses, un amant prêt à attendre un an avant de jouir de sa « belle écolière » (« J’ai rencontré G à l’âge de treize ans. Nous sommes devenus amants quand j’en ai eu quatorze »), la présence d’un corbeau. Mais c’est le récit de l’emprise d’un pervers narcissique sur une gamine perdue (« la paumée ») qui nous est contée. Le prologue loue la visée édificatrice des contes de fées : « les contes pour enfants sont source de sagesse… Autant d’avertissements que toute jeune personne ferait bien de suivre à la lettre ». Si, jeune fille, elle a cru à un conte de fées, elle apprend bien vite à ses dépens que « cet homme n’était pas bon. Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance : un ogre… Le prince charmant a montré son vrai visage ». L’auteure en tire une conclusion générale pour tous les écrivains : « les écrivains sont des gens qui ne gagnent pas toujours à être connus. On aurait tort de croire qu’ils sont comme tout le monde. Ils sont bien pires. Ce sont des vampires ».