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Critiques

Le Coût de la vie, Deborah Levy (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 30 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman

Le Coût de la vie, Deborah Levy, Editions du sous-sol, août 2020, trad. anglais, Céline Leroy, 159 pages, 16,50 €

 

« Certaines nuits, les étoiles lointaines semblaient très proches quand j’écrivais sur mon minuscule balcon, emmitouflée dans un manteau. J’avais échangé le bureau tapissé de livres de mon ancienne vie contre une nuit d’hiver étoilée. Pour la première fois, j’appréciais l’hiver britannique ».

Le Coût de la vie pourrait aussi s’appeler Le Goût d’une solitude retrouvée ou encore Le Coût d’une liberté nouvelle. Ce livre est le récit finement composé comme un vitrail, de la vie d’une femme après le divorce, de la vie d’une anglaise en liberté. Deborah Levy raconte un épisode de sa vie sentimentale où elle s’éloigne de son mariage : « Quand l’amour commence à se fissurer, la nuit tombe ». Elle quitte la maison familiale avec ses filles, et s’installe dans un appartement du sixième étage d’un immeuble qui attend toujours sa réhabilitation, un immeuble aux murs sinistres des couloirs de l’amour. Installée sur son balcon, elle écrit, et elle lit, écrire et lire, cette passion fixe est au cœur de son récit inspiré et vibrant. Écrire, lire et aimer : « Vivre sans amour est une perte de temps. Je vivais dans la République de l’Écriture et des Enfants ». Deborah Levy se souvient d’un poème d’Emily Dickinson : La gloire est une abeille – Elle chante – Elle pique – Et hélas, elle s’envole ! Une autre phrase fait écho à ce qu’elle vit, à ce qui la traverse : « Je suis “mariée” j’en ai fini avec ça ».

Le Iench, Eva Doumbia (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 30 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Théâtre, Actes Sud/Papiers

Le Iench, Eva Doumbia, septembre 2020, 80 pages, 12,50 € Edition: Actes Sud/Papiers


Le Iench (le chien en verlan) résonne comme un écho tragique à la question de « la vie noire » dans nos sociétés contemporaines, et plus particulièrement en France. Texte d’actualité brûlante écrit avant le meurtre de George Floyd, à Minneapolis, par un policier blanc, ou évocation mémorielle dans des interludes, au fil des années depuis 2005, des victimes des violences policières. Le théâtre s’était déjà saisi de cette matière de la confrontation, entre police et gamins, jeunes hommes aux origines lointaines, dans les banlieues. On se souvient de la très belle pièce de Michel Simonot, Delta Charlie Delta, paru aux Editions Espaces 34, en 2016, retraçant les émeutes urbaines de 2005 à Clichy-sous-Bois et la mort de Zyed et de Bouna, électrocutés, alors qu’ils avaient trouvé refuge dans un transformateur EDF pour échapper à leurs poursuivants.

Aline, Charles-Ferdinand Ramuz (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Zoe

Aline, 165 pages, 10 € . Ecrivain(s): Charles Ferdinand Ramuz Edition: Zoe

 

La beauté épurée de ce roman atteint au plus profond de l’âme. Charles-Ferdinand Ramuz, immense écrivain Ô combien oublié de nos jours, a écrit ce bref roman en ses débuts littéraires. Dans cette époque, l’écrivain suisse produisait des œuvres d’une grande simplicité, des histoires dépouillées, dans un style qui ne l’était pas moins. Le résultat est ébouriffant. Imaginez un Giono sans la Provence, enraciné dans le Canton de Vaud. Un petit village sans nom, de rares habitants qui vivotent au quotidien et – c’est le sujet de ce roman – un drame d’amour.

Aline est une jeune femme un peu simplette qui vit avec sa mère. Elle est effrayée par tout, les gens, la vie. Comment imaginer qu’elle puisse un jour penser au sexe ? Et pourtant, c’est ce qui lui arrive quand le beau Julien Damon lui fait la cour. C’est le fils d’une bonne famille, riche (en tout cas pour ce pauvre village). La rencontre amoureuse n’a rien d’un érotisme brûlant. Jugez-en.

Le Désir de voir, Laurent Jenny (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 29 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Arts, L'Atelier Contemporain

Le Désir de voir, Laurent Jenny, août 2020, 168 pages, 20 € Edition: L'Atelier Contemporain

 

Des mots aux images – et retour

Laurent Jenny enseigne à l’université de Genève. Il a publié de nombreux travaux sur l’esthétique et l’idéologie littéraires. Dans Le Désir de voir, il glisse vers une forme d’autobiographie (ciblée) en remontant l’histoire de son initiation progressive au regard pictural et photographique. Surgissent les étapes de cette métamorphose. Voir dans le noir, L’instant de voir, Voir en rêve, et Manières de voir, segmentent l’exploration de plusieurs modes de vision, au croisement d’expériences personnelles, d’expérimentations artistiques, de lectures et de « regards ».

Les mots mettent progressivement le feu aux poudres des images. Et tout commence à l’ombre de Michaux et ses peintures-idéogrammes, puis avec et entre autres les œuvres d’Alexandre Hollan et ses dessins d’arbres, les encres de Joan Barbarà, les monotypes de Degas, l’Outrenoir de Pierre Soulages, et des « photographies » d’Oscar Muñoz.

Les villes de papier, une vie d'Emily Dickinson, Dominique Fortier (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Lundi, 28 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Grasset

Les villes de papier, Dominique Fortier, septembre 2020, 208 pages, 18,50 € Edition: Grasset

 

Une vie d’Emily Dickinson, et non la vie d’Emily Dickinson, comme l’annonce le sous-titre : l’auteure a pris quelques libertés – c’est bien le moins pour un écrivain – avec la vérité historique – vague épouvantail manchot, baudruche toujours déjà flasque – et ne s’en cache pas : elle précise en note de fin que quelques épisodes de son récit sont « le fruit de son imagination », en espérant qu’on ne parvienne pas à déterminer lesquels – entreprise qui me paraît du reste assez dépourvue d’intérêt.

Car le propos des Villes de papier n’est pas, ou si peu, biographique au sens courant du terme : il s’agit moins de raconter la vie de la poétesse – les faits – que de dérouler le tissu de son existence. Non que les données factuelles soient absentes – loin de là – mais elles ne constituent pas l’essentiel du récit – tout au plus une nécessaire trame de fond. En fait de récit, il s’agit plutôt d’une collection de fragments plus ou moins brefs : notations, évocations, scènes, tableaux, anecdotes…