Identification

Critiques

Cette maudite race humaine, Mark Twain (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 14 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, USA, Babel (Actes Sud)

Cette maudite race humaine, mai 2020, trad. anglais (USA) Isis von Plato, Jörn Cambreleng, 80 pages, 5,80 € . Ecrivain(s): Mark Twain Edition: Babel (Actes Sud)

De la virulence dans l’écriture

En abordant un essai polémique, on s’attend à découvrir un opus radical, combatif, parfois violent dans ses propos, ou encore à suivre les sinuosités subtiles de l’ironie, ou bien à rencontrer un auteur qui s’adresse à nous, l’insulte à la bouche, un esprit brillant mais « vachard ». C’est comme si un virus entêté s’était introduit dans la littérature. On est loin d’une littérature tiède, fade et édulcorée, recherchant le consensus mou. Il y a un peu de tout cela en ouvrant le livre de Mark Twain, Cette maudite race humaine. On pense d’ailleurs à la grande tradition des polémistes et on a en tête des noms comme ceux de Bloy, Bernanos, Berl, tous des esprits qui ne s’en laissaient pas conter et aptes aux duels verbaux.

L’ouvrage de Mark Twain est modeste dans sa dimension, une soixantaine de pages, mais son intention est bien explicite, vu le titre ; l’auteur réprouve avec la plus grande force l’espèce humaine. Le livre comporte cinq essais (écrits à la fin de sa vie mais publiés d’une manière posthume) dont deux sont particulièrement intéressants, celui qui ouvre le recueil et celui qui le referme : Le monde a-t-il été fait pour l’homme ?, et L’animal inférieur.

Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 14 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib, mars 2020, 176 pages, 16,50 € Edition: Gallimard

 

Lorsque sa mère décède, la narratrice vit à Montréal avec son compagnon, Samuel. À cette perte s’arriment des sentiments de tristesse et de colère bien naturels et légitimes. Entre l’introspection et les souvenirs, la narration oscille entre l’évocation d’une femme souvent mélancolique et le constat d’une double absence : l’absence de la mère, bien sûr, mais aussi l’absence de la narratrice qui, endeuillée, se retrouve étrangère à elle-même et aux autres. C’est d’ailleurs principalement dans cette manière d’être au monde sans y être que la fille convoque la figure maternelle et analyse sa propre situation : « Je n’ai pas su quoi faire de tant d’absence ». Dès lors, elle s’engage sur le chemin long et éprouvant du deuil, suggéré par la métaphore du tunnel à traverser : « Je voudrais parler du tunnel, ce n’est pas ce que l’on croit […]. Ne pas laisser l’absence prendre toute la place, ne pas s’effacer dans la pâleur du manque. C’est au sujet de s’engouffrer là où l’on pense que ça ne passera pas ».

Ma Douleur, Mohamed Ghafir (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 11 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Histoire

Ma Douleur, Mohamed Ghafir, éd. Ressouvenances, 2019, 80 pages, 10 €

 

Journal de détention

Ma Douleur, livre au titre sobre, évoque l’arrestation de Mohamed Ghafir à Paris le 9 janvier 1958 par la DST. Cet Algérien né en 1934, qui ayant refusé d’effectuer son service militaire dans l’armée française, fut emprisonné plusieurs fois à Fresnes, à la Santé, à Châlons-sur-Marne et dans le camp de rétention du Larzac, en tant que responsable du FLN en France. Ce cahier de doléances, rédigé sous forme d’un journal, où sont reproduits deux fac-similés du manuscrit original, recoupe les « événements » d’Algérie par le biais d’un seul homme, et c’est cela qui est d’un grand intérêt. Les rendez-vous militants de Mohamed Ghafir sont inscrits avec précision. Les noms de famille des résistants sont systématiquement effacés et gommés du cahier, preuve de la grande honnêteté de l’homme, qui, par ailleurs, ne mange pas à sa faim. En plus de se trouver quotidiennement objet de brimades racistes, les Algériens étaient taxés d’« étrangers ». Les policiers, munis de règlements préfectoraux, usaient en toute impunité de la force afin d’entraver leur liberté de circuler, sous peine de « ratonnades ».

Les sœurs aux yeux bleus, Marie Sizun (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 11 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Les sœurs aux yeux bleus, juin 2020, 396 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): Marie Sizun Edition: Folio (Gallimard)

 

Comment entrevoir une autre vie, une possibilité d’émancipation et d’accomplissement personnel ?

En cette seconde moitié du XIXe siècle, c’est bien difficile pour les enfants Sézeneau : ils sont cinq, deux garçons Isidore et Eugène, trois filles, Louise, Eugénie, et Alice, nés tous à cette époque. Le père, Léonard Sézeneau, est une sorte de pater familias, ombrageux, autoritaire, peu disert. Il fait planer son autorité sur le foyer. Son épouse, Hulda, est décédée et des mauvaises langues affirment que c’est parce que Hulda aurait appris la liaison qu’entretient Léonard avec Livia Bergvist, une jeune femme d’origine suédoise, qui est la gouvernante de la famille Sézeneau.

Très vite, la narratrice Marie Sizun nous initie aux secrets plus ou moins inavouables de cette famille : Livia cache une naissance, un enfant qu’elle aurait pu avoir avec Léonard. Mais c’est le parcours des filles qui est privilégié dans ce roman. Les scènes sont décrites par Marie Sizun comme des épisodes de séries télévisées. On se laisse prendre à cette convention car Marie Sizun a de la sympathie pour ces sœurs aux yeux bleus.

Le goût de l’esprit français, Collectif (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 11 Septembre 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Mercure de France, Anthologie

Le goût de l’esprit français, Collectif, textes choisis et présentés par Antoine Gavory, mars 2020, 126 pages, 8,20 € Edition: Gallimard

 

Une sélection de textes représentatifs de « l’esprit français », tel est le pari d’Antoine Gavory et du Mercure de France dans cette jolie petite collection intitulée « Le goût de… ». En trois parties et 31 textes, nous retrouvons la quintessence de ce qui fait l’esprit – au sens du « wit » anglais – des auteurs français, depuis Molière jusqu’à Jean Dutourd ou René de Obaldia, en passant par Georges Courteline et Jules Renard. Car la dimension de l’humour, de la dérision mais aussi d’un certain engagement est prégnante dans le parti-pris de l’auteur de cette sélection.

A côté de textes classiques exigeants, tirés de Dom Juan ou du Misanthrope de Molière, ou bien le monologue de Figaro de Beaumarchais ou la tirade des nez de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, se trouvent des extraits d’auteurs exhumés du purgatoire des lettres, comme Antoine de Rivarol ou Anatole France. Un credo de Jean d’Ormesson sur la littérature et son goût des livres, issu de Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, côtoie des nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon, teintées « d’humour ou de coquinerie », transcrites de dépêche d’agence de presse et sélectionnées parmi les 1210 qu’il rédigea en deux ans au sein du journal Le Matin : « A Oyonnax, Mlle Cottet, 18 ans, a vitriolé M. Besnard, 25 ans. L’amour, naturellement ».