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Ninive, Henrietta Rose-Innes

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 25 Juin 2014. , dans La Une Livres, Afrique, Les Livres, Critiques, Roman, Zoe

Ninive, traduit de l’anglais (Af-Sud) par Elisabeth Gilles, avril 2014, 282 pages, 20 € . Ecrivain(s): Henrietta Rose-Innes Edition: Zoe

 

« Des chenilles ? Facile, pensa Katya. Même celles-ci, qui recouvrent l’arbre du tronc jusqu’à la cime, en grappes serrées, leurs poils orange tout tremblotants. Les chenilles, elle en fait son affaire.

Mais cet arbre qui se tortille, quel étrange spectacle tout de même : un arbre gangrené. Surtout ici, avec cette pelouse parfaite qui descend jusqu’à la grande maison blanche en contrebas, entre des parterres de fleurs bien taillés piquetés de rose et de bleu. Sur le côté, juste dans son angle de vision, un jardinier tond le bord de la pelouse, les yeux sur Katya et le garçon, pas sur sa cisaille. En arrière-plan, se dresse la Constantiaberg. C’est un jour d’automne, frais mais clair. Les montagnes font leur âge, ridées, usées et écrasées par un ciel exubérant. Belle journée pour une garden-party.

Au centre du tableau, il y a pourtant cette chose abominable. Cet unique arbre emmailloté d’une couche de matière invertébrée, d’une multitude de corps à pointes molles couleur de sucre brûlé. On dirait que l’arbre entier a été dévoré et remplacé par une réplique grossière de lui-même tout en chair de chenilles » (p.9).

Sept années de bonheur, Etgar Keret

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 19 Juin 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Moyen Orient, Roman

Sept années de bonheur, traduit de l’anglais (Israël) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, 197 pages, 18 € . Ecrivain(s): Etgar Keret Edition: L'Olivier (Seuil)

 

« Pour ceux que cela intéresse, voici un aspect curieux de ma pitoyable personnalité que j’ai appris à connaître avec les années : quand il s’agit de prendre un engagement, il existe une relation directe, inversement proportionnelle, entre la proximité dans le temps de ce à quoi on me demande de m’engager et ma disposition à le faire. C’est ainsi, par exemple, que je risque de répondre poliment non à une demande bien modeste de ma femme – “Tu me préparerais une tasse de thé, s’il te plaît ?” – alors que je suis prêt à accepter généreusement d’aller acheter des provisions le lendemain. Je me porte volontaire sans hésiter pour aider un parent éloigné à déménager, du moment que c’est dans un mois, et si le délai de grâce passe six mois, je serais prêt à me battre à mains nues contre un ours polaire. Le seul ennui – mais de taille – de ce trait de caractère, c’est que le temps passe inexorablement et qu’à la fin, quand on se retrouve tremblant de froid, au beau milieu de la toundra gelée en Arctique, nez à nez avec un ours à la fourrure blanche qui montre les dents, on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’aurait pas mieux valu tout simplement dire non six mois plus tôt » (p.149).

Adam et Thomas, Aharon Appelfeld

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 24 Mars 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Israël, Jeunesse, L'école des loisirs

Adam et Thomas, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, illustré par Philippe Dumas, 151 pages, 15 € . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'école des loisirs

 

Premier livre pour enfants d’Aharon Appelfeld, Adam et Thomas est une fable sur la guerre et la persécution, le versant pour enfants de l’histoire d’Aharon Appelfeld lui-même qui a vécu, enfant, une longue période dans la forêt pour échapper aux traques nazies.

Cela commence comme un conte : la mère d’Adam entraîne son fils dans la forêt avec un sac plein du minimum vital. Avec la consigne de s’arranger pour la journée, et d’aller se cacher chez une certaine Diana si sa mère ne revient pas le chercher à la nuit. Mais la forêt n’est pas hostile : « N’aie crainte – lui dit sa mère –, tu connais notre forêt et tout ce qu’elle contient » (p.7). Ce sera l’antienne qui traversera tout le livre, ressassée par Adam.

A la nuit, au lieu de chercher refuge chez Diana, Adam fausse le cours des choses (?), préférant faire confiance à son destin et aux ressources de sa chère forêt, avoir confiance en le retour de sa mère, y croire.

Ame qui vive, Véronique Bizot (2ème critique)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 18 Mars 2014. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

Ame qui vive, février 2014, 110 pages, 14,80 € . Ecrivain(s): Véronique Bizot Edition: Actes Sud

Il y a du Thomas Bernhard dans ce livre… mais une forme de désespoir qui trouve son exutoire moins dans le ressassement que dans l’engluement.

Quatre personnages, quatre hommes et parmi eux, deux frères, dans des lieux inhospitaliers, vivant là parce qu’ils l’ont choisi – ou accepté, mais n’est-ce pas la même chose ? – pour un temps. Accepté, choisi, le pire, la fatalité du pire.

Fouks, dramaturge à succès, détruisant au fur et à mesure toute production, cloîtré, enterré dans une maison lugubre :

« Et si une forme de joie avait autrefois existé chez eux (joie de vivre) elle donnait l’impression de les avoir depuis longtemps désertés, et sans doute s’étaient-ils, après quelque temps d’étonnement, habitués à se passer d’elle. Mais j’aimais bien les observer, assis dans l’atelier, ou bien Montoya et mon frère installés dans la bibliothèque face au bureau de Fouks éclairé par une lampe de cuivre, Fouks leur lisant parfois des passages de son travail, ce qu’il n’avait jamais fait avant de rencontrer Montoya, et raturant vigoureusement au fur et à mesure de sa lecture, si bien qu’il finissait par s’interrompre complètement et se mettait à tout récrire comme si nous n’avions pas été là » (p.36-37).

Fugitives, Alice Munro

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 27 Janvier 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Canada anglophone, Nouvelles

Fugitives, traduit de l’anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, 2008, 382 p. 21 € . Ecrivain(s): Alice Munro Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Fugitives, en effet, et d’abord d’elles-mêmes, et du temps. Ce moment, ce temps qui les rattrape, qui dresse un mur ou les fait tourner en rond, ce temps – ou le destin – qui, comme l’ange exterminateur du film de Bunuel, joue avec ces femmes et demande une remise en situation pour à nouveau qu’elles se retrouvent, qu’elles sortent de cet enfermement ou de cette impasse, de ce non-lieu où les a menées la fugue, la fuite, leur tentative. La tentative ou l’acte réussi, en justice comme dans la vie, punie des mêmes peines.

La plus révélatrice de ces nouvelles, Subterfuges, et aussi la plus cruelle, paraît reposer sur un détail : « J’en mourrai, avait dit Robin, un soir, voilà des années. Si ma robe n’est pas prête, j’en mourrai » (p.269), ainsi commence la nouvelle.

L’héroïne de cette nouvelle, Robin, est une jeune femme vivant avec sa sœur qui a, comme on le dit pudiquement, des problèmes de santé. Captive de cette sœur aînée qu’elle ne peut laisser à elle-même, elle s’évade une fois chaque été, à la ville voisine, assister à une représentation théâtrale.