Ame qui vive, Véronique Bizot (2ème critique)
Ame qui vive, février 2014, 110 pages, 14,80 €
Ecrivain(s): Véronique Bizot Edition: Actes SudIl y a du Thomas Bernhard dans ce livre… mais une forme de désespoir qui trouve son exutoire moins dans le ressassement que dans l’engluement.
Quatre personnages, quatre hommes et parmi eux, deux frères, dans des lieux inhospitaliers, vivant là parce qu’ils l’ont choisi – ou accepté, mais n’est-ce pas la même chose ? – pour un temps. Accepté, choisi, le pire, la fatalité du pire.
Fouks, dramaturge à succès, détruisant au fur et à mesure toute production, cloîtré, enterré dans une maison lugubre :
« Et si une forme de joie avait autrefois existé chez eux (joie de vivre) elle donnait l’impression de les avoir depuis longtemps désertés, et sans doute s’étaient-ils, après quelque temps d’étonnement, habitués à se passer d’elle. Mais j’aimais bien les observer, assis dans l’atelier, ou bien Montoya et mon frère installés dans la bibliothèque face au bureau de Fouks éclairé par une lampe de cuivre, Fouks leur lisant parfois des passages de son travail, ce qu’il n’avait jamais fait avant de rencontrer Montoya, et raturant vigoureusement au fur et à mesure de sa lecture, si bien qu’il finissait par s’interrompre complètement et se mettait à tout récrire comme si nous n’avions pas été là » (p.36-37).
Montoya, un globe-trotter ? un aventurier ? un mercenaire ?, venu prendre la place d’un peintre dans un ex-garage, ex-atelier insalubre et sans aucun confort : « (…) Haupt – le peintre – avait décampé de là au plus vite en lui cédant la place, ainsi que cette vieille canadienne accoutré de quoi il avait dû chaque jour envisager de se jeter du haut de la muraille, ou de se coucher le long du poêle à gaz, ou encore de se laisser emporter dans le flot du torrent… » (p.38). Et les deux frères, dont le plus jeune devenu muet et renfermé, enfermé en soi à la suite d’un incendie qui a décimé la famille et détruit une grande partie de la ferme. Lorsque l’aîné parle de leur mère à son cadet, c’est en ces termes : « Cependant, m’avait dit mon frère, nous ne l’avions au départ pas détestée, c’était sa détestation à elle qui nous était tombée dessus et avait fait de nous des enfants détestables. Tu n’as pas à la regretter, m’a souvent dit mon frère, car d’une mère comme celle-là tu n’aurais eu qu’à rougir à chaque minute. Elle n’aurait fait que t’anéantir et te désespérer » (p.60).
Rien n’unit ces hommes, qu’une certaine façon d’être ensemble, presque sans échange, pour tâcher d’assembler les morceaux de puzzle que le jeune a-normal relie entre eux, puis le désinvestissent… c’est curieusement le mutique, le réceptacle, qui leur donne l’impulsion, secrètement, chacun cherchant par une sorte de prise en charge, à le faire entrer dans son jeu, et par là même dans sa vie.
Le muet ayant recouvré la voix à la mort subite de son frère, il absorbe comme une éponge la vie de son tuteur, Fouks, et fait visiter sa maison comme si celui-ci était mort.
Personnalité multiple, éclatée, irréconciliable, le jeune homme rassemble désormais en lui les trois hommes : son frère, qui lui a rendu l’âme, Fouks, dont il adopte l’attitude d’inassouvissement volontaire, et Montoya, le parcours chaotique, de fuite en avant : « (…) après quoi Montoya, ainsi que l’avait fait le peintre Haupt avant lui, a rassemblé quelques affaires dans une valise et a quitté l’atelier au volant de sa voiture… » (p.103).
Mais par là même, tiraillé entre les pulsions contraires qui l’habitent, ne fera-t-il jamais que commencer, qu’entrevoir ?
« Parfois, quand j’ai fini de répondre au courrier, je prends une feuille de papier vierge et un stylo comme j’ai de tout temps vu Fouks le faire, et je me demande par quoi je vais commencer, mais c’est toujours la même pensée qui me vient alors, celle du jour où j’irai jusqu’à la gare attendre un train et monterai dedans avec mon sac » (p.110).
Anne Morin
Lire la critique d'Emmanuelle Caminade
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