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Les années à rebours, Nadia Terranova

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 03 Janvier 2017. , dans La Une Livres, Quai Voltaire (La Table Ronde), Les Livres, Critiques, Italie, Roman

Les années à rebours (Gli anni al contrario), octobre 2016, trad. italien Romane Lafore, 176 pages, 18 € . Ecrivain(s): Nadia Terranova Edition: Quai Voltaire (La Table Ronde)

 

 

Ce roman – un premier roman – brosse avec talent et acuité deux décennies de l’histoire italienne : les fameuses années 70 et les désillusions des années 80.

Fin des années soixante-dix, Aurora et Giovanni se rencontrent à l’université. Tous deux Siciliens mais de familles au destin politique opposé, vont éprouver leur nouvelle liberté. Ouvertement de gauche et rebelle, Giovanni s’engage politiquement, bien vite déçu par lui-même. Le couple a une petite fille, Mara. Les mois et les années s’écoulent. Pour tromper son désenchantement politique, Giovanni se drogue, et Aurora se débrouille seule.

L’épilogue, amer, est bien dans le droit fil d’une intrigue qui voit évoluer les personnages, au fil des années et des changements de société.

Bottins proustiens, Michel Erman

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 12 Décembre 2016. , dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Essais

Bottins proustiens, septembre 2016, 240 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Michel Erman Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Deux dictionnaires – celui des personnages, celui des lieux – composent cet essai, écrit par un spécialiste proustien, de l’Université de Bourgogne. Comme le rappelle avec sagacité Erman, la Recherche, selon Georges Poulet, « s’affirme comme une recherche, non seulement du temps, mais de l’espace perdu » (p.132).

Le catalogue des personnages proustiens tient, il est vrai, du bottin. Aux principaux s’ajoutent tous les seconds couteaux d’un univers aristocratique et bourgeois. Albertine, la mère, Charlus, la Verdurin, Swann, Saint-Loup, Morel, Gilberte, la duchesse de Guermantes, Françoise, occupent avec la tante Léonie et Odette de Crécy le premier plan d’une œuvre de trois mille pages, qui fourmille de personnages, parfois très secondaires. C’est la richesse de la Recherche que d’offrir un tel tableau d’époque. Proust réussit par le dialogue à individualiser chaque être et le langage révèle caste et appartenance. Les comtes, les marquis abondent, puisque le Côté de Guermantes – celui du Faubourg Saint-Germain – est le fief des anciennes aristocraties, qui logent encore dans des hôtels particuliers (aussi peut-on lire Rohan ou Noailles ou Grammont sous les patronymes proustiens inventés, quoique Guermantes soit une municipalité bien réelle d’Ile de France).

Le silence de mon père, Doan Bui

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 06 Décembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, L'Iconoclaste

Le silence de mon père, mars 2016, 254 pages, 19 € . Ecrivain(s): Doan Bui Edition: L'Iconoclaste

 

Restituer dans un livre toute une part du récit familial, beaucoup l’ont tenté ; certain(e)s l’ont réussi. C’est ici le cas de la journaliste Doan Bui, d’origine vietnamienne. C’était le cas des récits de Pancrazi, du beau livre de Frain (Sorti de rien), et des archives de Yourcenar.

L’ethnographie familiale suppose une matière féconde et un regard qui soit d’une sagacité à toute épreuve : rendre vie et parole à l’histoire d’un père, exilé dans son propre corps depuis l’AVC qui le rendit muet, exilé originaire d’un pays quitté dans le flot des départs, demandait à l’auteur une écriture qui puisse, sans pathos, décrire un parcours, aller aux sources d’une vie voyageuse qui aboutira finalement au Mans, prendre le temps de « fouiller » comme une « fourmi » les annales de l’histoire proche.

Que savons-nous des gens que l’on aime ? Que sauvera-t-on d’eux ? Doan Bui a senti la nécessité de raconter ce qui risque de s’éventer et de tomber dans le pur oubli. Elle le fait pour ses filles, pour ses sœurs, pour ses frères. Il a fallu même creuser jusqu’à dépecer les secrets – toute famille en porte. Son récit est passionnant de bout en bout : il livre avec émotion un travail de quête précis, argumenté, un retour au pays pour savoir et pouvoir raconter.

Petits riens pour jours absolus, Guy Goffette

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 28 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Gallimard

Petits riens pour jours absolus, juin 2016, 120 pages, 14 € . Ecrivain(s): Guy Goffette Edition: Gallimard

 

 

La vie, pour le poète, file comme le cycliste sur la pente. Nombre d’images de vélo ou de course signent ce constat mélancolique. Elle grappille et sauve des « riens », « l’œuf bleu de toutes les promesses » pour l’enfant, « la main pour traverser la nuit ». En hommage à Rimbaud, à Max Jacob « ce pauvre sous l’escalier », à Follain, à ce célèbre Guillaume, les poèmes sont éloges, récritures, blasons.

De brefs poèmes incisent le réel comme l’eau « si bleue dans les poèmes », restituent « le chemin des maraudes ». Il faut se gorger de soleil car les larmes proches risquent toujours de venir border le visage.

Le poète, lui, prend le temps de « rebrousser le chemin de tes larmes ».

L’attente, la lucidité laissent trace, et un air funèbre de cimetières « aux tombes abandonnées, défoncées » parsème les textes.

Du vent, Xavier Hanotte

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 15 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Belfond

Du vent, octobre 2016, 432 pages, 19 € . Ecrivain(s): Xavier Hanotte Edition: Belfond

 

Voilà, commis par le romancier belge, un roman bien enlevé, brillant et intrigant. Ou comment tisser deux histoires en une, sans quitter l’à-propos ni verser dans le décousu main.

Ainsi, nous suivons en parallèle, poussées par le vent de l’histoire ou le bien réel météorologique, les narrations d’une relation historique à la Yourcenar et d’un fait divers crapuleux de séquestration. Nous verrons assez vite que des liens se nouent entre les deux histoires.

En quatre chapitres, le personnage de Jérôme Walque, romancier de son état, réinvente le triumvir Lépide, collègue d’Antoine et d’Octave, en pleine action d’occupation de la Sicile. Un héros tourmenté par l’éthique, renonçant à la violence et donc au pouvoir. Le portrait que Walque en fait est d’une justesse psychologique assez profonde, et la comparaison avec Yourcenar vient assez vite sous la plume, tant l’écriture reconstitue avec sagacité et flair cette époque révolue de luttes romaines pour le pouvoir. Les légions, les manœuvres de palais, les mouvements de troupes, tout y est vraisemblable.