Bottins proustiens, Michel Erman
Bottins proustiens, septembre 2016, 240 pages, 7,10 €
Ecrivain(s): Michel Erman Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Deux dictionnaires – celui des personnages, celui des lieux – composent cet essai, écrit par un spécialiste proustien, de l’Université de Bourgogne. Comme le rappelle avec sagacité Erman, la Recherche, selon Georges Poulet, « s’affirme comme une recherche, non seulement du temps, mais de l’espace perdu » (p.132).
Le catalogue des personnages proustiens tient, il est vrai, du bottin. Aux principaux s’ajoutent tous les seconds couteaux d’un univers aristocratique et bourgeois. Albertine, la mère, Charlus, la Verdurin, Swann, Saint-Loup, Morel, Gilberte, la duchesse de Guermantes, Françoise, occupent avec la tante Léonie et Odette de Crécy le premier plan d’une œuvre de trois mille pages, qui fourmille de personnages, parfois très secondaires. C’est la richesse de la Recherche que d’offrir un tel tableau d’époque. Proust réussit par le dialogue à individualiser chaque être et le langage révèle caste et appartenance. Les comtes, les marquis abondent, puisque le Côté de Guermantes – celui du Faubourg Saint-Germain – est le fief des anciennes aristocraties, qui logent encore dans des hôtels particuliers (aussi peut-on lire Rohan ou Noailles ou Grammont sous les patronymes proustiens inventés, quoique Guermantes soit une municipalité bien réelle d’Ile de France).
On le sait, les lieux abondent dans cette intrigue vertigineuse, qui nous mène de Cabourg (Balbec dans le roman) à Venise, en passant par Combray et le cœur de Paris. Villes et villages partagent l’intérêt de l’auteur, qui veille, comme pour ses personnages, à décrire longuement les décors : Combray, à ce propos, brille de tous les feux de la province : l’église, la demeure de la tante Léonie, la Vivonne enchanteresse, autant de lieux que de nombreuses pages font vivre comme des lieux réels. Une massive francité les accompagne et les recherches étymologiques du curé de Combray ajoutent à l’intérêt du lecteur pour l’origine de tout ce qui touche au village de Combray.
Erman n’a pas son pareil pour dégoter la moindre description du plus petit décor : il suffit de se reporter à celle de la cuisine de Françoise, qui y règne en maîtresse. Les chambres, bien sûr, comme des « monades isolées », tissent un univers intimiste où le narrateur a tout loisir d’échafauder, pour lui et les lecteurs, d’obscures déambulations dans sa conscience même.
Un travail de bénédictin, qui apportera au lecteur de Proust d’utiles renseignements à propos de la géographie proustienne et de ses nombreux personnages.
Philippe Leuckx
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