Le silence de mon père, Doan Bui
Le silence de mon père, mars 2016, 254 pages, 19 €
Ecrivain(s): Doan Bui Edition: L'Iconoclaste
Restituer dans un livre toute une part du récit familial, beaucoup l’ont tenté ; certain(e)s l’ont réussi. C’est ici le cas de la journaliste Doan Bui, d’origine vietnamienne. C’était le cas des récits de Pancrazi, du beau livre de Frain (Sorti de rien), et des archives de Yourcenar.
L’ethnographie familiale suppose une matière féconde et un regard qui soit d’une sagacité à toute épreuve : rendre vie et parole à l’histoire d’un père, exilé dans son propre corps depuis l’AVC qui le rendit muet, exilé originaire d’un pays quitté dans le flot des départs, demandait à l’auteur une écriture qui puisse, sans pathos, décrire un parcours, aller aux sources d’une vie voyageuse qui aboutira finalement au Mans, prendre le temps de « fouiller » comme une « fourmi » les annales de l’histoire proche.
Que savons-nous des gens que l’on aime ? Que sauvera-t-on d’eux ? Doan Bui a senti la nécessité de raconter ce qui risque de s’éventer et de tomber dans le pur oubli. Elle le fait pour ses filles, pour ses sœurs, pour ses frères. Il a fallu même creuser jusqu’à dépecer les secrets – toute famille en porte. Son récit est passionnant de bout en bout : il livre avec émotion un travail de quête précis, argumenté, un retour au pays pour savoir et pouvoir raconter.
Depuis le silence du père, lourd, pesant, la journaliste a tout fait pour éclairer la figure de ce père pathologiste, de sa mère, et de leur arrivée un beau jour en France, alors que pour elle, qui ne parle pas la langue des parents, qui n’a pas connu le destin de celui né en 1942 en Chine, arrivé en 1961 en terre française, cette recherche est essentielle, unique.
Le beau titre, souvent évoqué à l’intérieur du livre, souligne, ô combien, l’intimité d’une relation, qu’il s’agira de sortir de sa gangue. Le silence médical n’a pas empêché l’auteur de s’ouvrir à un périple, qu’elle sentait nécessaire.
On admire bien sûr l’entreprise, sa justesse, le regard aigu qu’elle pose sur le monde complexe de l’émigration, de la langue, du réseau familial et de ses contraintes. Parfois, l’on garde des secrets, parfois leur révélation, au lieu de meurtrir, soulage et offre de nouvelles perspectives.
Le livre offert par Bui à sa famille se clôt sur un ultime voyage au Vietnam : le lecteur peut alors mesurer le chemin parcouru et l’anamnèse réussie, et fêtée par deux beaux prix, Amerigo-Vespucci et celui de la Porte Dorée.
Un livre magnifique, vous l’aurez compris.
Philippe Leuckx
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