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Les Livres

Une Sorcellerie, Valentin Retz (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 21 Janvier 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Une Sorcellerie, octobre 2021, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Valentin Retz Edition: Gallimard

« Certains gouffres ne sont pas faits pour être mesurés ; ni certains yeux, pour scruter l’innommable. En tout cas, moi, j’aurais voulu ne jamais voir le visage des démons qui nous haïssent et nous abusent, depuis que l’homme est appelé à se trouver et à se perdre ».

Une Sorcellerie est un roman divin, qui comme le fit Dante dans la Comédie, traverse l’Enfer et ses sorcelleries, pour ensuite laisser le Paradis l’illuminer. L’écrivain poursuit cette immersion dans l’Enfer, déjà à l’œuvre dans Noir parfait. Le narrateur de ce roman inspiré et troublant se voit littéralement projeté, il sort de son corps, dans l’esprit d’un sorcier, le maléfique Daxull, un personnage aux mille ressorts et perversions, et qui jette mille sorts mortifères sur ses disciples dans des messes noires dont il est le grand ordonnateur. Le narrateur se retrouve immergé dans ce théâtre orgiaque de la destruction radicale de l’Être, par les yeux d’un démon qui manipule les âmes, les corps, et la science. Cet écart, ce basculement, ce bouleversement, que subit le narrateur, se déroule en 2015, quelque temps avant les attentats islamistes visant le Stade de France, les cafés et restaurants de Paris, et le Bataclan, probablement, comme si le Diable y rodait. De cette immersion dans la tête d’un autre, d’un ange déchu, de cette fantaisie diabolique et échevelée, le narrateur reviendra transformé et avide de lumière et de Lettres. L’obscurité, les forces du mal, les terreurs et les humiliations ne peuvent longtemps l’habiter et le contaminer.

Berthe Morisot, Inquiétude, Elisabetta Rasy (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 21 Janvier 2022. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Biographie, Arts, Italie

Berthe Morisot, Inquiétude, Elisabetta Rasy, éditions Pagine d’Arte, octobre 2021, trad. italien, Nathalie Castagné, 96 pages, 20 €

 

Seule artiste féminine du groupe célèbre des Impressionnistes, Berthe Morisot dut longtemps lutter pour imposer sa figure, échapper aux carcans académiques et à l’influence d’un groupe auquel elle adhéra d’emblée (dès 1874). Son parcours est fulgurant et son entêtement à peindre, à faire de la peinture un véritable métier, aussi remarquable.

Elle a deux sœurs, Yves et Edma, qui se marieront, échapperont à leur destinée artistique. La mère, Madame Morisot, se moque des desseins de sa plus jeune fille Berthe, ne croyant jamais à ses dispositions naturelles.

Berthe sera d’abord modèle d’Edouard Manet, pour de nombreux tableaux. La fille, aux grands yeux verdâtres, que l’artiste représente en noirs, apprendra à connaître le milieu avant de s’y fondre avec une ténacité qui fera d’elle « la Dame des Impressionnistes » et au fil du temps, malgré les réticences de certains critiques, une figure respectée du groupe nouveau de peinture. De 1874 à 1886, elle participera à presque toutes les Expositions du groupe. Elle en est la seule femme.

Correspondance, Édition intégrale, Clarice Lispector (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 21 Janvier 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Amérique Latine, Correspondance, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Correspondance, Édition intégrale, Clarice Lispector, décembre 2021, trad. portugais, Didier Lamaison, Claudia Poncioni, Paulina Roitman, 400 pages, 26 €

Confidences

Un choix important de la correspondance de 1940 à 1977, nous fait traverser une part du destin de la grande figure des lettres brésiliennes, Clarice Lispector. Ces archives privées contiennent des formes confidentielles d’écrits, et ce qui en résulte est tour à tour une activité d’écrivain qui écrit pour se dire que « ce qu’il offre est un trop-plein qui gonfle sa propre vie (…) qu’il trouve en lui-même ou autour de lui », et d’écrivant, selon la terminologie de Barthes, « lequel est un homme transitif, “celui qui pose une fin de témoigner, expliquer, enseigner”, dont la parole n’est qu’un moyen », une communication (Falardeau, J.-C. (1961), Écrivains et écrivants in Liberté). Corroborant cette analyse, en cela, Clarice Lispector se parle à elle-même, se répond, interroge et s’interroge, se livre et se délivre du trop-plein de son existence d’écrivaine. Par ailleurs, elle se positionne en écrivante quand elle rédige son courrier professionnel. Elle s’adresse à des poètes, dramaturges, romanciers influents tels Lúcio Cardoso, José Lins do Rego, Natércia Freire, Fernando Sabino, Érico Veríssimo, auxquels elle demande des avis sincères.

La Gouvernante italienne, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 20 Janvier 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Folio (Gallimard)

La Gouvernante italienne, Iris Murdoch, Folio, 1964 (première publication en français en 1967, réédition de septembre 2001), trad. anglais, Léo Lack, 220 pages, 6,90 € . Ecrivain(s): Iris Murdoch Edition: Folio (Gallimard)

 

La Gouvernante italienne… Ce titre devient de plus en plus intrigant au fil de la première moitié du roman où le personnage éponyme, entrevu au début, reste quasiment invisible. Murdoch sait créer le suspense avec des riens. D’ailleurs, cette gouvernante italienne est-elle réellement un individu ou bien un genre ?

Giulia, Gemma, Vittoria, Carlotta et à présent Maria, surnommée Maggie, se sont succédé dans la maison de Lydia, laissant aux enfants qu’elles ont élevés des impressions douces et protectrices toutes confondues dans cette fonction qui sonne comme un nom : la gouvernante italienne, sévèrement vêtue et coiffée, logée au dernier étage mais maîtresse dans la cuisine et la lingerie pour veiller silencieusement au confort de tous.

Ne détient-elle cependant pas des pouvoirs qui vont se révéler, en quelques jours, décisifs dans l’existence de la famille Narraway, réunie pour les obsèques de Lydia ?

Sur Le Réseau de Lautréamont de Kevin Saliou (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 20 Janvier 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Classiques Garnier

Le Réseau de Lautréamont, Kevin Saliou, Classiques Garnier

 

Le Réseau de Lautréamont qu’ont publié les Classiques Garnier cet automne est le deuxième volume de la thèse que Kevin Saliou a consacrée à l’auteur longtemps mystérieux des Chants de Maldoror. Autant le dire tout de suite, la lecture en est passionnante : il est rare qu’un essai érudit, rigoureux, qui semblerait réservé aux spécialistes, procure le même plaisir qu’un roman policier – et il y a bien en effet comme une démarche d’enquêteur scrupuleux dans ce livre puisque Saliou, comme l’avait fait Étiemble pour Rimbaud en 1952, s’applique à délégitimer certains mythes construits depuis sa mort autour d’Isidore Ducasse et à éclaircir plusieurs énigmes, tout en admettant que les zones d’ombre demeurent importantes.

Les concepts sociologiques de réseau, de champ et de stratégie littéraires, convoqués par Saliou, sont remarquablement opérants en l’occurrence. Saliou commence par résumer ce que l’on connaît de la biographie de Ducasse avant de réunir les informations fournies par les témoins directs de son existence (camarades de lycée, etc.).