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La Une Livres

L’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mardi, 21 Juin 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Actes Sud

L’ombre s’allonge, avril 2016, 144 pages, 15 € . Ecrivain(s): Jean-Paul Goux Edition: Actes Sud

 

C’est un ami et c’est un frère, c’est un si proche qu’on ne veut le voir partir. Il est là, dans son lit et on attend le verdict, sans savoir qu’il n’y en aura pas de positif. Ce qu’on croit alors c’est que s’il rouvre les yeux, tout sera comme avant. Mais jamais on ne pense qu’il en sera définitivement autrement. « Ce qu’on croyait être le pire et qu’on appelle la fin, quand le pire n’est pas encore concevable ». Pudeur et silence d’une écriture fine et douce, par la voix de ce couple d’amis Vincent et Clémence qui nous ramènent les souvenirs d’une amitié partagée avec cet être dont le portrait fragile illumine les pages par sa présence d’absent désormais à ce monde.

« Nous étions tous les trois ensemble le plus souvent, ou bien en tête-à-tête, et toujours revenaient ces moments qu’avec lui nous connaissions depuis toujours où nous habitait la certitude (le sentiment de cette certitude) qu’il n’y avait personne au monde avec qui nous puissions être aussi exactement nous-mêmes, avec qui nous puissions reconnaître intégralement comme nôtre la figure qu’il formait en s’adressant à nous. »

Tout a une fin, Drieu, Gérard Guégan (Critique 2)

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 20 Juin 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Tout a une fin, Drieu, mai 2016, 131 pages, 10 € . Ecrivain(s): Gérard Guégan Edition: Gallimard

 

« Rappelle-toi avant-hier. Rappelle-toi ta rencontre dans le parc Monceau avec ce journaliste de Je suis partout passé à la Résistance du jour où les chars de Leclerc ont franchi la porte d’Orléans.

Tu as pourtant cru que ça y était

Le regard qu’il ta jeté valait une salve ».

Tout à une fin, Drieu est un livre qui claque comme une salve d’arme automatique, une fable qui vous saisit comme un regard d’acier, et vous fige comme un uppercut. Ce pourrait être les derniers jours de l’auteur de Gilles, de Feu Follet, mais aussi d’Une femme à sa fenêtre, ces romans d’une génération et de quelques essais pamphlétaires dont il ne reste qu’un vague souvenir. Drieu face à son double, ce narrateur, qui ne lui pardonne rien, qui le suit comme son ombre, l’interpelle, le questionne, l’invite au souvenir, à ces zones d’ombres anciennes ou plus récentes, à la guerre comme à la collaboration. Mais Drieu est autre, plus complexe, sa palette de noirs s’invite lumineusement dans ce petit livre racé qui s’ouvre sur cet homme pressé que le destin va rattraper.

Et ton absence se fera chair, Siham Bouhlal

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 20 Juin 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Récits

Et ton absence se fera chair, Yovana Editions, août 2015, 220 pages, 17,95 € . Ecrivain(s): Siham Bouhlal

J’ai sombré dans ce vestibule étroit, ténébreux. Silhouette fine, élancée, au dos droit, lourd, je ne laissais plus que la mélodie aigüe de mes talons, résonance nette et uniforme. J’étais aux prises avec ce couloir d’une longueur infinie, obstinée.

Avec ce premier titre les éditions Yovana − qui se lance dans un ambitieux projet éditorial mené loin, bien loin de la capitale, depuis Bagnols-sur-Cèze, en pays gardois – nous offre un récit étonnant, à la fois témoignage, déclaration d’amour autant que politique et long poème.

Siham Bouhlal, qui a déjà publié quelques essais et recueils de poésie, fut la dernière compagne du militant des droits de l’homme marocain Driss Benzekri, disparu en 2007 des suites d’un cancer. Elle sublime dans ce récit la disparition de l’aimé, célébrant leur amour fou, un amour corps et âme qui refuse toute concession au quotidien ou à l’histoire, les transportant l’un et l’autre bien au-delà d’eux-mêmes. Spécialiste de la poésie arabe médiévale, Siham Bouhlal sait trouver et dire, chanter, le lyrisme de cet attachement qui sait combattre toutes les forces de morts qui œuvrent souterrainement, qu’ils s’agisse de maladie ou de politique. Un lyrisme qui sait mettre des mots et des images sur toutes les réalités de la vie (et donc de la mort), sans fausse pudeur. Ou plutôt en dépassant toute idée même de pudeur, vraie ou fausse.

La littérature sans idéal, Philippe Vilain

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 18 Juin 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Grasset

La littérature sans idéal, mars 2016, 162 pages, 16 € . Ecrivain(s): Philippe Vilain Edition: Grasset

 

Nombreux sont les écrivains, romanciers et/ou théoriciens de la littérature, qui ont, à travers les décennies, dénoncé une baisse de qualité de la littérature française contemporaine due à son asservissement aux modes, à la facilité d’écriture, aux lois du marché de l’édition, voire au désintérêt grandissant du public pour ce type d’écrit, c’est-à-dire la fiction, et en particulier le roman. On peut citer en tout premier lieu Julien Gracq et sa Littérature à l’estomac (1950), pamphlet virulent contre le milieu littéraire parisien et l’attribution des prix littéraires et, plus récemment, La littérature en péril de Tzvetan Todorov (2007), qui fustige la conception étriquée de la littérature dans l’enseignement, parmi les critiques littéraires et même chez certains écrivains, pour redonner toute sa place au lecteur et à sa recherche de sens, le Nous on n’aime pas lire de Danièle Sallenave (2009), qui cherche l’espoir dans les livres étudiés à l’école, et L’Adieu à la littérature de William Marx (2012), qui s’essaie à expliquer les raisons de la lente déconsidération du public pour la littérature depuis le XVIIIe siècle.

Francesca Woodman (1958-1981), Devenir un ange

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Samedi, 18 Juin 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

Francesca Woodman (1958-1981), Devenir un ange, préface Agnès Sire, essai Anna Tellgren, Anna-Karin Palm et George Woodman, Éditions Xavier Barral, mai 2016, 232 pages, 35 € (version anglaise coédition Moderna Museet et Koening Books)

« Il a pleu à Nostre Seigneur que j’aye eu quelquesfois cette vision : je voyois un Ange aupres de moy vers le costé gauche en forme corporelle, ce que je n’ay pas accoustumé de voir que rarement, quoy que souvent des anges m’apparoissent ; mais lors je ne les voy point qu’à la manière de la vision precedente. Or Nostre Seigneur voulut que je le visse de la sorte. Il estoit petit, fort beau, le visage si enflammé, qu’il sembloit estre de ces esprits sublimes qui paroissent tout ardens, je croy que c’est de ceux qu’on nomme Serafins – car ils ne me disent pas leur nom. Je voy bien toutesfois que dans le ciel il y a tant de difference entre cet Ange et cet autre, entre ceux-cy et ceux-là, que je ne pourrois jamais assez le donner à entendre. Or je voyois qu’il tenoit en ses mains un long dard qui estoit d’or, et à l’extremité du fer, il paroissoit y avoir un peu de feu : il me sembloit que cet Ange me fichoit quelquesfois ce dard dans le cœur, et qu’il me navroit les entrailles ; et quand il le retiroit, je me les sentois emporter avec ce trait, demeurant toute embrazée d’un grand amour de Dieu. La douleur estoit si grande qu’elle me faisoit faire ces plaintes, mais d’autre part la douceur que je reçois de cette douleur est si excessive que je ne desire pas d’en estre privée, et que l’ame ne se contente de rien qui soit moins que Dieu.