La littérature sans idéal, Philippe Vilain
La littérature sans idéal, mars 2016, 162 pages, 16 €
Ecrivain(s): Philippe Vilain Edition: Grasset
Nombreux sont les écrivains, romanciers et/ou théoriciens de la littérature, qui ont, à travers les décennies, dénoncé une baisse de qualité de la littérature française contemporaine due à son asservissement aux modes, à la facilité d’écriture, aux lois du marché de l’édition, voire au désintérêt grandissant du public pour ce type d’écrit, c’est-à-dire la fiction, et en particulier le roman. On peut citer en tout premier lieu Julien Gracq et sa Littérature à l’estomac (1950), pamphlet virulent contre le milieu littéraire parisien et l’attribution des prix littéraires et, plus récemment, La littérature en péril de Tzvetan Todorov (2007), qui fustige la conception étriquée de la littérature dans l’enseignement, parmi les critiques littéraires et même chez certains écrivains, pour redonner toute sa place au lecteur et à sa recherche de sens, le Nous on n’aime pas lire de Danièle Sallenave (2009), qui cherche l’espoir dans les livres étudiés à l’école, et L’Adieu à la littérature de William Marx (2012), qui s’essaie à expliquer les raisons de la lente déconsidération du public pour la littérature depuis le XVIIIe siècle.
Le récent essai de Philippe Vilain s’inscrit dans cette lignée d’ouvrages en constatant le caractère désenchanté, « sans idéal », de la littérature produite par ses contemporains. L’ouvrage a l’intérêt d’aborder un certain nombre de concepts récents en littérature. Trois idées essentielles forment la matière du livre : tout d’abord, le regret que Proust et sa Recherche ne soient plus admirés, imités, pris en compte par une grande partie des écrivains français contemporains, et que Proust soit délaissé au profit de Céline et son « esthétique du parlé » ; ensuite, du fait de cette absence d’ancrage historique, le constat que le texte de fiction ne s’enracine dans rien d’autre que lui-même et produit une autonarration sans profondeur, qui prend trois voies : l’autofiction, la biofiction et le docufiction, définissant ainsi le « post-réalisme » ; enfin, que le nombre croissant des écrivains, depuis une trentaine d’années, dévalorise l’écrit littéraire, la profusion entraînant « un nivellement de la production par une standardisation formelle », ce qui pose la question de la valeur du texte et de son prix marchand. Au fond, il s’agit de proposer un modèle de distinction en littérature : littérature de consommation ou commerciale vs littérature littéraire ou académique, mais selon quels critères ?
Philippe Vilain prend parti en insistant sur le style de l’auteur ou du texte, enjeu fondamental de l’écriture littéraire : « La littérature ne s’engage qu’en faisant du style l’enjeu même de sa politique, lorsqu’elle affiche, en transparence des mots, une position intenable qui la dépasse ». Et certes l’essai de Vilain, au-delà des mentions de noms d’auteurs et de romans contemporains, qui rapprochent le texte d’un catalogue ou d’un palmarès un peu stérile, manifeste un goût du style savant qui mêle l’idée et le soin de la langue. Ainsi, « le post-réalisme […] se charge d’explorer une nouvelle dimension du réel, sa troisième, non plus en le figurant à la manière d’un Balzac, ni même en le sublimant à la manière d’un Breton, mais en investissant subjectivement le réel pour le réinventer, en réécrivant sa mythologie personnelle (autofiction), les mythologies collectives (biofiction), en faisant de la littérature le lieu d’un immense reportage de l’actualité, en alimentant une documentation fictive du monde (docufiction) ». La parenté du docufiction avec le cinéma est si évidente, dit l’auteur, qu’on se demande parfois si c’est le cinéma qui inspire l’écriture de fiction ou bien si c’est l’œuvre de littérature qui est adaptée à l’écran, débouché extrêmement prisé du roman car un produit dérivé rapporte autant, en termes de droits, à l’auteur qu’à l’éditeur. D’autres critères de la littérature sont rapportés au style : la liberté de création et la vie même de l’écrivain littéraire, détaché du présentisme et tourné vers l’esthétique.
Enfin, pour conclure avec Proust, écrivain emblématique qui nous relie à l’histoire littéraire, au beau langage et à la « littérature de pensée », Philippe Vilain célèbre « la perfection d’une œuvre totale, close, aboutie dans sa forme, son style et sa pensée, syncrétique par les savoirs littéraire, philosophique, sociologique, psychologique, historique, qu’elle convoque et combine, sorte de synthèse de l’esprit du XVIIIe siècle et d’une littérature du XIXe siècle qui aurait été écrite au XXe par un homme du XXIe ». Comment mieux dire la permanence et la modernité de la littérature proustienne ?
Sylvie Ferrando
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