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Critiques

Orpheline, Marc Pautrel

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 13 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Roman, Gallimard, La rentrée littéraire

Orpheline, octobre 2014, 96 pages, 12 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard

Dans le précédent roman de Marc Pautrel, Polaire (Gallimard, collection L’Infini, 2012), il y avait un bref instant par quoi la joie s’imposait, par quoi le narrateur tutoyait, dans son corps entier, des pleurs de joie, une joie pascalienne et enfantine tout à la fois :

« Je continue de croire qu’un jour quelque chose va arriver entre elle et moi. Je sais que c’est écrit. Tous les fleuves coulent vers la mer. Simplement, je ne sais pas quand la chose se passera, peut-être dans un mois, peut-être dans dix ans. Les existences sont animées par des moteurs aux soubresauts étranges et aux développements non prédictibles. Un dimanche d’octobre, vers midi trente, elle m’appelle enfin, elle vient de monter dans le tramway à la gare, elle arrive de Dordogne, elle est descendue du train cinq minutes avant, elle voudrait qu’on se voie. Je suis en train de manger, je lui propose de la rejoindre dans l’après-midi. Elle voudrait plus tôt, elle voudrait maintenant, je lui dis : D’accord, le temps d’arriver. Elle répond : Je t’attends. Je saute de joie, au sens propre, comme chaque fois que je sais que je vais la voir de nouveau : tout seul dans mon salon je fais de petits sauts verticaux, à la façon des Massaï du Kenya, trampoline sur un sol devenu soudain élastique, le corps bien droit, comme une succession d’ascensions fulgurantes et de plus en plus élevées, je saute, je bondis, je chantonne, je ris tout seul. Je suis plus heureux que si je venais de ressusciter d’entre les morts. Mais cette fois-ci, ma joie est encore plus forte que d’habitude, je sais que l’instant que je vis est un instant sacré ».

La science expliquée à mes petits-enfants, Jean-Marc Lévy-Leblond

Ecrit par Christophe Gueppe , le Samedi, 11 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Seuil

La science expliquée à mes petits-enfants, septembre 2014, 102 p. 8 € . Ecrivain(s): Jean-Marc Lévy-Leblond Edition: Seuil

Qui ne rêverait d’avoir un grand-père comme Jean-Marc Lévy-Leblond, aussi sage et aussi savant, et qui ne souhaiterait avoir une petite fille aussi curieuse, instruite et intelligente que celle qui nous est présentée ?

Sur quoi porte leur discussion très enrichissante ? Sur la science, sur ce qu’elle est aussi bien que sur les processus par lesquels elle se fait. De ce point de vue, J.M. Lévy-Leblond se présente, dans cet ouvrage, à la fois comme un scientifique, tant au niveau théorique que pratique, comme un historien des sciences, un philosophe, un pédagogue, mais aussi un homme, pétri de sensibilité, de moralité et de sens civique.

Ce sur quoi il veut insister, en tout premier lieu, c’est sur la complexité du travail d’un scientifique. C’est cette complexité qui fait que, aujourd’hui, la science dans ses avancées demande une très grande spécialisation, mais aussi un travail de collaboration. Aucun scientifique actuel ne peut prétendre dominer l’ensemble de sa discipline, ou même simplement une branche de celle-ci. Ses connaissances très pointues vont donc de pair avec une profonde cécité, qui demande de sa part beaucoup d’humilité, comme il le dit à un moment : « Ce furent plusieurs mois de déprime avant qu’un chercheur renommé ne m’explique amicalement que c’était normal et que le travail de recherche consiste précisément à passer le plus clair de son temps à ne pas trouver, à ne même pas savoir exactement ce qu’on cherche, et pire encore, à se tromper ».

Le Regard de Midi, LEE Seung-U

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 10 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Asie, Roman, Decrescenzo Editeurs

Le Regard de Midi, traduction du coréen CHOI Mikyung et Jean-Noël Juttet, mai 2014, 133 pages, 15 € . Ecrivain(s): Lee Seung-U Edition: Decrescenzo Editeurs

 

« Affirmer que j’allais là-bas pour une cure, était-ce dire la vérité ? Jusqu’à quel point était-ce vrai ? A quelle strate de la vérité cette affirmation appartenait-elle ? Etait-elle vraie pour tout le monde ? En tout cas, elle ne l’était pas pour moi. Ni pour ma mère. N’empêche que lorsque P. m’a demandé pourquoi je voulais y aller, j’ai répondu, pour faire une cure, et je n’ai pas éprouvé de remords ».

Partir pour trouver un nom et un visage. Le nom, le visage, le regard du père, et pour cela passer par la maladie et la douleur. Han le narrateur du roman de LEE Seung-U fait ce voyage armé de quelques lectures troublantes : Rilke, Gary, Kafka, et accompagné du bacille qui le colonise. Partir pour trouver ce qui l’empêche de marcher, une perte, un doute, un pressentiment, comme une frontière militaire qui sépare sa Corée de l’autre. Le Regard de Midi est un livre où le moindre geste, la moindre parole, l’acte de vie est saisi par ce tremblement, cette terreur souterraine, signe que la maladie fait son chemin. Tout y est gris, sombre, désespéré, même si par instants le narrateur laisse son regard s’illuminer par les éclats de la nature qui l’entoure.

Sur ce chemin, Gisèle Prevoteau

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 10 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Sur ce chemin, iPagination Editions, mai 2014, 290 pages, 15,10 € . Ecrivain(s): Gisèle Prevoteau

 

Catherine est depuis des années cadre supérieur d’une entreprise où elle est la spécialiste impitoyable de l’organisation des « plans sociaux », expression moderne du plus cruel cynisme pour désigner les mises à la porte massives, les licenciements collectifs, les charrettes remplies…

Très appréciée pour sa rigueur, son implication, sa motivation et son manque absolu d’humanité dans la mise en application froide et systématique de ces programmes d’épuration, elle vit seule et n’a d’autre passion que son travail, d’autre horizon que ses dossiers, d’autre famille que son collègue Gérard, son assistant, le frère de Paul, l’unique partenaire avec qui elle ait eu pendant quelque temps une vie de couple, Paul, qui a mis fin tout à coup à cette union en se suicidant.

Et voilà qu’un jour, rompant avec un quotidien professionnel très rigoureusement réglé, elle pète les plombs : au lieu de se rendre à son travail, sans savoir pourquoi, sans l’avoir prémédité, elle laisse sa voiture la conduire sur un chemin de hasard, toute volonté brusquement anéantie, tout contrôle de soi brutalement perdu, tout désir de vivre soudainement abandonné.

Péguy en la Pléiade - Œuvres poétiques et dramatiques, Charles Péguy

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 09 Octobre 2014. , dans Critiques, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Poésie, La rentrée littéraire, Théâtre, La Pléiade Gallimard

. Ecrivain(s): Charles Péguy Edition: La Pléiade Gallimard

 

Œuvres poétiques et dramatiques, Charles Péguy, nouvelle édition sous la direction de Claire Daudin, avec la collaboration de Pauline Bruley, Jérôme Roger et Romain Vaissermann, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, n°60, 18 septembre 2014, 1888 pages

 

« La postérité retient parfois de Péguy l’efficacité du polémiste, le prophétisme du philosophe de l’Histoire, le moraliste aigu, l’anarchiste irréductible ou le socialiste humaniste et, d’une manière peu discutée, le patriote martyr. Mais le poète, le connaît-on vraiment ? », s’interrogent les éditeurs.

L’on aurait envie d’ajouter ici : peut-on seulement le connaître ? En effet, Péguy se tient tout entier reclus (reclus pour être découvert) dans ses contrastes, dans la façon qu’il a de prendre la fuite face à la saisie que l’on pourrait opérer – saisie sans cesse recommencée – et du sens et de la musique que ses longues pièces jettent à la vue et à l’oreille. En effet, ses « Dialogues ne sont pas des dialogues, ses Notes n’ont rien de superfétatoire, ses Mystères gardent leur mystère, ses Ballades nous égarent, et nul ne sait vraiment ce que sont ses Tapisseries… »