La science expliquée à mes petits-enfants, Jean-Marc Lévy-Leblond
La science expliquée à mes petits-enfants, septembre 2014, 102 p. 8 €
Ecrivain(s): Jean-Marc Lévy-Leblond Edition: SeuilQui ne rêverait d’avoir un grand-père comme Jean-Marc Lévy-Leblond, aussi sage et aussi savant, et qui ne souhaiterait avoir une petite fille aussi curieuse, instruite et intelligente que celle qui nous est présentée ?
Sur quoi porte leur discussion très enrichissante ? Sur la science, sur ce qu’elle est aussi bien que sur les processus par lesquels elle se fait. De ce point de vue, J.M. Lévy-Leblond se présente, dans cet ouvrage, à la fois comme un scientifique, tant au niveau théorique que pratique, comme un historien des sciences, un philosophe, un pédagogue, mais aussi un homme, pétri de sensibilité, de moralité et de sens civique.
Ce sur quoi il veut insister, en tout premier lieu, c’est sur la complexité du travail d’un scientifique. C’est cette complexité qui fait que, aujourd’hui, la science dans ses avancées demande une très grande spécialisation, mais aussi un travail de collaboration. Aucun scientifique actuel ne peut prétendre dominer l’ensemble de sa discipline, ou même simplement une branche de celle-ci. Ses connaissances très pointues vont donc de pair avec une profonde cécité, qui demande de sa part beaucoup d’humilité, comme il le dit à un moment : « Ce furent plusieurs mois de déprime avant qu’un chercheur renommé ne m’explique amicalement que c’était normal et que le travail de recherche consiste précisément à passer le plus clair de son temps à ne pas trouver, à ne même pas savoir exactement ce qu’on cherche, et pire encore, à se tromper ».
Cette complexité, l’enseignement scientifique a énormément de mal à en rendre compte. Un cours de mathématiques, de science physique ou de S.V.T. nous apprennent des applications, mais rarement (faute de temps notamment) en quoi consiste un travail de recherche qui, même s’il ne demande pas de prendre autant de risques qu’un travail de création artistique ou philosophique, où le chemin est moins balisé, reste malgré tout très imprévisible. La recherche scientifique, comme dans beaucoup d’autres domaines, consiste à se tromper souvent, et à tenter de corriger ses erreurs. Le travail de découverte, quant à lui, demande de comprendre ce qui a été dévoilé, ce à quoi peut contribuer une solide culture philosophique et même artistique, qui aideront à comprendre le sens d’un problème, et donc son intérêt, que l’enseignement laisse de côté.
Les sciences, même si elles peuvent permettre des applications dans le domaine technique (comme la fission des noyaux atomiques, qui peuvent aboutir à la construction de bombes atomiques, ou bien de centrales nucléaires), restent un domaine abstrait, celui des idées. Elles constituent, surtout dans le domaine de la pureté mathématique, une méthode de raisonnement (inventée par les Grecs afin de convaincre un interlocuteur). Elles offrent donc ce plaisir d’entraîner notre esprit à surmonter les difficultés dans une question de logique, en dehors des préoccupations de la vie quotidienne. L’auteur en donne un exemple avec la création des nombres irrationnels (de la racine latine ratio : rapport en latin), qui ont permis d’envisager le calcul de la diagonale d’un carré, égale à racine de deux qui elle-même, comme chacun sait, est égale à 1,414231562…, nombre qui nous ouvre les portes sur l’infini, et sur la possibilité vertigineuse de comparer des nombres infinis entre eux. Nous entrons dans le monde des paradoxes (de para : contre, et doxa : opinion), qui fait quitter celui de l’intuition et du sens commun, afin de mieux appréhender l’idée, par exemple, que la combinaison de deux gaz, l’oxygène et l’hydrogène, donne un liquide. La science peut donc être conçue comme un questionnement sans fin, un « art de transformer les questions jusqu’à ce qu’elles aient une réponse », ce qui demande à ses « serviteurs » de batailler sans cesse, contre les idées et la subjectivité des autres, mais aussi contre les siennes propres.
La science est une activité parmi d’autres, qui demande de se confronter aux autres champs des préoccupations humaines, et qui aujourd’hui pose la question de sa sauvegarde, en tant que recherche fondamentale et désintéressée. Va-t-elle pouvoir échapper à des intérêts économiques et de pouvoir, qui prétendent se servir et orienter les recherches qui ont besoin du financement de leur appareillage technique ?
Christophe Gueppe
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