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Roman

A propos de Wilderness, Lance Weller (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Jeudi, 22 Juin 2023. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Gallmeister

Wilderness, Lance Weller, éd. Gallmeister, 2017, trad. américain François Happe, 346 pages, 10 €

 

De l’endroit où l’auteur écrit. Ou depuis lequel lire un livre. Sans doute cela modifie-t-il la lecture. L’impression. Créer une expérience de lecture. J’ai souhaité lire Wilderness sur l’île d’Hawaï, qu’ici, aux États-Unis, nous appelons Big Island. Big Island, tout simplement parce que c’est la plus grande de l’archipel. Parce que dans les îles dites Américaines, l’histoire n’est pas seulement écrite dans les livres, elle se vit quotidiennement. Elle suinte, elle déborde, elle est un marqueur. Émotionnel. Et dans la langue américaine, les mots sont pragmatiques. La pensée, factuelle. Ce sont des mots comme patrie, serment, camp, communauté, partisan. Des pensées comme autant d’images cinématographiques. Des gueules qui accrochent la cornée et leur histoire tatouée sur l’écran. Les rides, les cicatrices, les plaies comme autant de mots à traduire. Lire Wilderness, c’est assurément renouer avec ces termes-là. Leur application dans le monde dit réel.

Un vent les pousse, Frédéric Bécourt (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 20 Juin 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Un vent les pousse, Frédéric Bécourt, Accro Editions, mars 2023, 208 pages, 19 €

 

« L’admiration de Gilles pour sa fille ne connaissait aucune limite. Elle était sa principale force et sa plus grande faiblesse. La source de toutes ses joies, aussi, et l’unique objet de ses angoisses ».

Un vent les pousse est le roman d’une folie, d’une folie administrative et sociale qui va frapper un père et sa fille. Pour quelques mots échangés entre deux jeunes enfants dans la cour de leur école, la machine éducative va s’échauffer et entrer en fusion. La petite Chloé âgée de 5 ans est accusée par une enseignante d’avoir tenu des propos racistes envers un autre enfant, Souleymane : Laisse-moi, tu sens mauvais, … Rentre chez toi, ou rentre à ta maison. Dans les temps du roman, ministère, inspecteurs et enseignants veillent au grain, au bon grain, et à bien le séparer de l’ivraie. Pour cela un protocole est activé, et l’enfant doit être soumise à des tests psychologiques, la vigilance est de tous les instants, chaque mot et réaction des enfants pesés sur la balance sociale.

Manhattan Transfer, John Dos Passos (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 19 Juin 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Manhattan Transfer, John Dos Passos, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Philippe Jaworski, 544 pages, 9,70 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Grâces soient rendues à Philippe Jaworski, dont on peut de bon droit estimer qu’il a souffert, enfant, adolescent et adulte, de traductions pénibles d’ouvrages anglo-saxons, puisqu’il soigne depuis des années cette souffrance en rendant justice à ces ouvrages ! Et pour le coup, on soupire d’aise : il était grand temps que Manhattan Transfer, le cinquième roman de John Dos Passos et, au passage, l’un des plus importants romans de la modernité soit proposé en français autrement que dans la langue guindée et purificatrice de Maurice-Edgar Coindreau. Certes, ce dernier a œuvré pour la reconnaissance de la littérature anglo-saxonne en France, d’Ernest Hemingway à William Faulkner ou de John Steinbeck à Erskine Caldwell, mais qu’est-ce qu’il pouvait élaguer ! On rêve ainsi à lire Le Petit arpent du bon Dieu en français dans toute sa virulence…

Pour Manhattan Transfer (1925), c’est donc désormais chose faite, que ce passage de l’anglais d’un New York populaire à un français assoupli de ses convenances, et on peut pleinement goûter le propos de John Dos Passos. Jugeons sur pièce avec un paragraphe saisissant, celui de l’accident du livreur de lait Gus, conclusion du second chapitre :

Les silences d’Alexandrie, Michèle Gazier (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 16 Juin 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Mercure de France

Les silences d’Alexandrie, Michèle Gazier, Mercure de France, mai 2023, 176 pages, 17,80 € Edition: Mercure de France

« L’écriture est cannibale. Je sais qu’un jour j’apparaîtrai dans un de vos romans et je détesterai l’image que vous donnerez de moi ».

Le tout récent roman de Michèle Gazier, Les silences d’Alexandrie, ne se déroule pas à Alexandrie mais à Montpellier, Paris et Marie-Galante avec un détour par l’Espagne et l’hiver canadien. On s’y promène peu dans la ville chère à Constantin Cavafy, à E.M. Forster, à Lawrence Durrell et à Alain Blottière (1). On ne découvre pas sa géographie intime. La narratrice n’y mettra jamais les pieds. Mais cette ville à la forte charge poétique comme Lisbonne, Prague ou Trieste, par l’origine supposée d’un des personnages et les énigmes qui l’entourent, est au cœur du récit et justifie son titre.

Comme dans les livres antérieurs de Michèle Gazier, il est question d’identité personnelle, de mémoire et de secrets de famille longtemps dissimulés ; il est question de transmission ; il est question du pouvoir salvateur et manipulateur des mots. Ecrire, c’est tenter d’ordonner le chaos du monde ; c’est entrer en conflit avec la loi commune faite d’oubli, d’indifférence, de vanité paresseuse ; c’est attirer le lecteur dans un piège, le compromettre, l’obliger à renoncer à son confort.

Poussière dans le vent, Leonardo Padura (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Vendredi, 16 Juin 2023. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Amérique Latine

Poussière dans le vent, Leonardo Padura, Editions Métailié, 2021, trad. espagnol (cubain) René Solis, 640 pages, 24,20 €

« Cuba no » vu par la face émigrés de tous temps et de tous genres, mais « Cuba si » par l’amour ou le rejet jamais complet que portent à leur île solaire tous ces Cubains d’ailleurs…

On est, avec ce Poussière dans le vent, venu du « dust in the wind » d’une vieille chanson américaine, dans une littérature propre aux Caraïbes et à l’Amérique latine dans son ensemble ; romanesque en diable, nourrie de grandes histoires (et ancrée à une forte Histoire aussi du reste), charriant des personnages épiques dont le sort jamais simple est de nature à aller vers l’universel. Récits colorés, dont la part de flamboyance plus ou moins appuyée, confine parfois à un certain baroque inhérent à la culture de ces pays-là. Le roman de Padura a de tout ça un peu, sauf sans doute le côté baroque. Il y a, au rebours, des éléments de littérature américaine du nord, l’intime des personnages qui dirige le récit, et un aspect road-movie par le recours systématique aux lieux géographiques, traités comme autant de personnages.